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84 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Les gens qui discutent le talent de M. Sacha Guitry^ comme auteur dramatique auront-ils changé d'avis après avoir vu Jac- ijueline ? Ils le traitent souvent d'amuseur superficiel. Sans doute, il a écrit quelques petites choses rapides et un peu lâchées qui souftVent difficilement qu'on les revoie. Mais comment peut-on nier le très grand talent de l'auteur dramatique qui ■nous a donné Jean de La Fontaine, Debiirau, Le Veilleur de nuit, et cette petite merveille d'émotion et de vérité : les deux cou- verts ? M. Sacha Guitry n'a pas seulement de l'esprit, ce qui serait déjà beaucoup. Et quand je parle d'esprit, je ne parle pas seulement de l'esprit de saillies ou de reparties. Je veux dire qu'il a encore l'esprit de ne pas prêcher ni moraliser et de ne pas tomber dans toutes les niaiseries de cette époque. Il a éga- lement à un très haut degré le don du naturel, de la simpli- cité, de la vérité, une grande finesse d'observation, tout cela nullement dénué d'une sensibilité qui se cache et ne se montre ■que pour rire d'elle-même. Quand tant d'autres auteurs, qui pourtant se croient bien supérieurs à lui, parce qu'ils sont graves et compliqués, ne savent que nous ennuyer avec leur phraséologie artificielle et leurs sujets inventés, lui toujours nous amuse, nous intéresse et nous touche souvent, avec des tableaux et un dialogue qui sont pris dans la vie même. Je ne le -connais pas. Je ne lui ai jamais parlé. Je me suis même dérobé ^devant l'invitation à faire sa connaissance. Je suis sauvage, timide. Les gens que je ne connais pas me glacent, m'ôtent tous mes moyens. Quand je me trouve devant eux, obligé de parler, je sens que j'ai l'air bête, et c'est un air que je préfère qu'on ne me voie pas. Je suis de même avec les gens que je connais et que je n'ai pas vus depuis longtemps : je préfère ne pas les voir. J'aurais trop de choses à dire et à entendre. Cela m'ennuierait. Quand il m'arrive de les rencontrer dans une rue, vivement, si je le peux, je prends une autre rue pour les éviter. Quel besoin d'ailleurs de connaître les gens ? On se fait très bien d'eux une idée sans cela. Je connais tous les dons de M. Sacha Guitry. Je devine un rapport parfait entre sa per- sonne et ses travaux. Cela me suffit, et à lui aussi, je pense. Si tout le monde était comme moi, que d'importuns en moins i Je continuerai à me contenter de le regarder avec un certain air quand il m'arrive de le rencontrer, sans qu'il se doute qu'il m'a

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