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CHRONIQUE DRAMATIQUE 83

me demandez pas laquelle. Je ne le sais pas moi-même. Cela dépend des jours. Cela dépend surtout de celle dont je suis obligé de m'occuper. Mon long récit m'intéresse. J'y parle de moi, de ma famille : trois ou quatre personnes assez drôles, des gens que j'ai connus quand j'étais enfant. C'est un sujet qui m'amuse. Je me plains toujours de ne pouvoir y travailler comme je le voudrais. Le loisir m'en est-il donné ou faut-il enfin que je m'y décide parce que le jour est arrivé ? Aussitôt je pense au plaisir que j'aurais à écrire une chronique drama- tique, à célébrer les mérites de tel auteur et de sa pièce qui m'a fait passer une si remarquable soirée, pendant laquelle je maudissais le théâtre à le voir sous cet aspect. Naturellement, le jour arrive de l'écrire à son tour, cette chronique dramatique. Alors, l'ennui que j'ai subi au théâtre se répand à l'avance sur tout ce que je dois écrire. Au diable l'auteur et sa pièce et même les compliments que des gens du même talent en ont faits ! Je pense combien il me serait plus agréable d'écrire une Ga- zette, sur un sujet qui me plairait, à ma guise, libre de me laisser aller au gré de mon caprice, sans être limité dans mon sujet, sans avoir à rendre compte de quoi que ce soit, ni porter aucun jugement, libre en un mot d'écrire uniquement pour mon plaisir. Et quand enfin je m'y décide, à écrire une Gazette, vous croyez que je suis satisfait ? Hélas ! c'est mal me con- naître, c'est mal connaître le démon qui m'anime et cette humeur jamais la même qui est la mienne. A ce moment-là, c'est mon récit qui m'occupe l'esprit, c'est cela seul qui existe pour moi, c'est à cela que je voudrais travailler, et ma Gazette ne me dit plus rien, et, comme rien ne me force, je passe ma soirée à rêver au lieu d'écrire. Je suis là ce que j'ai toujours été, ce que je suis encore, et pour tout : mobile, instable, distrait, incertain, jamais content de rien. Je regrette ce que je n'ai plus, je désire ce que je n'ai pas, ce que j'ai m'est indiffé- rent. Beaumarchais avait raison : posséder n'est rien, c'est jouir -qui est tout. J'aurai beaucoup joui, par le désir plus que par la possession. De même, je n'aurai pas écrit bien des choses, pou;r avoir épuisé à y rêver le plaisir qu'elles me donnaient. Vous voyez que j'ai raison de m'exhorter, de me pousser, de m'encou- rager, puisque, devant écrire cette chronique dramatique, j'aurais bien plus envie d'écrire autre chose. Ecrivons-la, cependant.

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