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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 77

Mont-Renaud c'est le Cimetière (VEylau de la littérature de guerre. Le hasard de la vie militaire a offert toute faite à M. Gaudy la situation que le génie de Victor Hugo avait su repérer dans ses souvenirs de famille. Il n'y a dans toute notre poésie que deux récits de bataille immortels : celui de Corneille dans le Cid, et, ici, celui de Hugo. Le Cimetière l'emporte proba- blement. Ce n'est pas une bataille d'ensemble, c'est un coin du champ de bataille, l'engagement d'une compagnie. Une situation comme celle de la 6" compagnie du 57^.

Nous étions les gardiens du centre, et la poignée Dlionunes sur qui la bombe, ainsi qu'une cognée Va s'acharner, et j'eusse aimé mieux être ailleurs

Les poilus du 57= eussent aussi préféré être ailleurs. Je ne crois pas qu'aucun récit mette en une lumière plus claire que celui de M. Gaudy les dessous du courage, en fasse mieux sai- sir la charpente et l'ossature. Quand il a peur et qu'il voudrait bien se mettre à l'abri, il sait simplement que ce serait un aban- don de poste, et qu'un abandon de poste cela ne badine pas. Tout simplement. II n'y a pas plus de courage militaire sans la peur du code militaire qu'il n'y a de sensibilité sans corps ; l'armée ne va pas plus sans ses lois écrites que l'Etat. Comme les poisons- dans la composition des remèdes, cette peur-là devient l'anta- goniste de la peur. Comme le garde-fou d'un pont, qui ne vous sert qu'à vous enlever l'idée que vous pourriez tomber, cette peur militaire vous enlève la peur civile, la peur humaine. Et la ten- sion extraordinaire d'un tel moment peut fort bien faire d'un sol- dat un homme littéralement sans peur.

« Le bouillon arrive ensuite. Cette eau tiède, préparée à Pajet dans une cave, est dénommée bouillon par habitude. Ensuite on nous donne des haricots. Je les mange avec les doigts, n'ayant pas de cuiller. C'est fini. Nous ue devons avoir faim que dans vingt-quatre heures.

— Je roupillerais bien ! dit Lhoumeau.

Les autres aussi dormiraient. Mais peut-on se coucher dans la vase ?

Nous restons debout, adossés à la paroi molle de la tranchée, sous- la pluie qui ruisselle. L'eau charge ma capote comme une éponge ; je la sens descendre par filets glacés le long de mon dos.

On acquiert, à force de souffrir, une indiff"érence absolue pour toute souff'rance nouvelle. Une de plus ou de moins !...

Nous sommes habitués à vivre sans sommeil, à manger quand

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