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REFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE

UN LIVRE DE GUERRE

On se plaint souvent que la grande guerre n'ait pas encore produit la littérature immédiate qu'on en attendait. Il semble même, au premier abord, que nos guerres civiles aient donné davantage. Le Panama nous a laissé Leurs Figures, l'aflaire Drey- fus survit en Monsieur Bergeret à Paris. Déjà la guerre de Vendée avait été d'un meilleur rendement — pour le roman du moins — que les guerres de la Révolution et de l'Empire. Il est vrai que M. Anatole France nous promet sur la guerre un livre dans le genre de Vile des Pingouins. Mais cette Ile n'était pas du meil- leur France. La littérature de guerre a été, comme dirait M. Ferrero, une littérature de quantité plutôt qu'une littérature de qualité. On espérait mieux. Peut-être cet espoir lui-même faisait-il à son objet une mauvaise atmosphère. Il fut entendu dès le troisième jour de la mobilisation que cela allait donner de la littérature, et de la fameuse. Tel homme de lettres, mort aujourd'hui, à qui on refusait une autorisation et une automo- bile militaires pour suivre les opérations, s'écriait dans les cou- loirs du ministère : « Je vous mets sur la conscience la littéra- ture que vous étoutî'ez ! » Sur quelle conscience doit peser, et combien plus lourdement ! celle qui n'a pas été étouffée — celle de l'arrière, j'entends. Arrière ou avant, la guerre produisit une littérature hâtive à laquelle manquèrent les forces souter- raines et lentes, et qui parut née avant terme, sans le laps de temps qui lui eût fourni l'ombre, le mystère, le silence. Il est impossible à un médium de travailler utilement devant un sceptique, à plus forte raison devant un illusionniste professionnel. L'esprit, l'in-

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