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Pendant le silence qui suit, ils ne font un mouvement ni l’un ni l’autre.

— Vous voyez bien, ma pauvre amie, reprend-il doucement, que nous sommes tous les deux plus atteints qu’il ne paraissait d’abord.

Il ajoute avec difficulté :

— Et nous ne pouvons plus feindre de croire… que ce qui nous rapproche c’est vraiment la pensée d’Heuland… Je sais bien qu’il est ridicule de parler à une femme comme je le fais… Il est même permis de trouver que c’est un peu goujat… Mon frère prétend qu’il n’y a plus chez nous que de la bravade… et que le moindre sentiment naïf, spontané, serait plus honnête que nos points d’honneur…

Elle murmure :

— Votre frère a été très bon… Je l’ai vu plusieurs fois. Il m’a donné le courage de regarder en moi-même…

— C’est tout ce qu’il s’agit de faire. Ce qu’était Heuland dans la réalité, la question n’est pas là. (Au reste, nous redeviendrons plus sensibles à sa jeunesse, à son bon cœur, à son désintéressement, lorsque nous ferons avec simplicité l’aveu de ses insuffisances.) L’important, c’est de ne pas nous méprendre sur ce que nous avons éprouvé pour lui.

Vaincue d’avance par tant de méthode, elle semble attendre un arrêt. Vernois porte la main à la poche intérieure de son veston, y palpe une enveloppe.

— Je dois vous avouer d’abord un abus de confiance. Avec les effets de votre mari, vous avez reçu toutes celles de vos lettres qui se trouvaient dans son bagage, toutes, sauf une que voilà.

Au bout de ses doigts, l’enveloppe blanche vacille un peu.

— Il fallait savoir à qui retourner ces lettres : c’est mon excuse pour avoir ouvert celle que je tiens. Je n’en ai guère pour l’avoir lue jusqu’au bout ; j’en ai moins encore pour l’avoir gardée. Et quand je dis que l’intérêt d’Heuland a été le premier mobile de mon intervention, cela n’est pas tout à fait vrai ; le tout premier c’est cette lettre.