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Vernois n’a pas compté avec cette lumière caressante, ni prévu combien des lieux aux contours si effacés manqueraient de langage pour qui ne les a pas connus dans leur état premier.

— Le boyau que nous avons à quelques mètres devant nous n’existait pas. Ils ont pu courir jusqu’au réseau allemand, là où sont les premiers fils de fer. Ils l’ont traversé sans beaucoup de peine, puis ils ont sauté la première tranchée.

Vernois s’avance entre des cratères creusés par les bombardements postérieurs. Mais devant le visage de Clymène il sent toutes les explications intempestives. Il ajoute simplement :

— C’est juste à l’endroit où nous sommes qu’un tir de barrage les a écrasés.

Alors, comme un soldat touché, elle chancelle un peu, tombe à genoux. Pour respecter son recueillement, il recule de quelques pas, violemment tiré en arrière par le petit Antoine dont les doigts tiennent les siens serrés. Il voit Clymène prendre de la terre dans ses mains, la soulever comme si elle allait la porter à ses lèvres, puis la laisser retomber. Et aussitôt il sent l’enfant se mettre à trembler, tirer plus fort. Il veut le faire asseoir, mais le petit tient les yeux fermés et refuse de se tourner du côté de sa mère.

— Antoine, mon bonhomme, lui dit doucement Vernois, est-ce que tu n’oserais seulement pas regarder ce coin de terre où ton père a bien eu le courage de s’élancer avec ses hommes, au devant des grenades et d’une mitrailleuse qu’on n’avait pas pu détruire ? C’était plus effrayant de franchir ce petit espace que de traverser l’Afrique d’une extrémité à l’autre.

Mais l’enfant reste replié, les mains sur son visage. Vernois préférerait une crise de désespoir où le cœur du petit s’ouvrirait et recevrait un souvenir indélébile.

— Je vais te dire une chose que presque personne ne