PIERRE BENOÎT 675
vivants le moins doué d'imagination. Est-ce à dire qu'il plagie, comme on l'en a accusé ? Sans aucune hésitation, il faut répondre « non », ou bien considérer que tous nos grands classiques,- et Racine, et Molière et plus encore La Fontaine, dont chaque fable a eu deux ou trois « sources », sont des plagiaires. Il semble prouvé que V Atlantide ne doit rien à She de Sir Ridder Haggard, mais l'idée première de Kœnigsmarck est empruntée à Blaze de Bury, l'idée pre- mière de Pour Don Carlos au chapitre intitulé « La Haine emporte tout » dans Du sang, de la volupté et de la mort de Barrés, celle du Lac Salé à une nouvelle de Stevenson, celle de la Chaussée des Géants à une documentation four- nie à Benoît par l'Irlandais Gavan Duffy.
Le vrai, c'est que le point de départ chez Benoît n'est pas l'essentiel et peu importe donc qu'il soit emprunté à autrui, au lieu d'être inventé. Et que ce canevas initial soit enrichi d'autres canevas extraits d'autres lectures, peu importe encore. L'intérêt est dans le rapprochement de ces thèmes. Pour reprendre l'image de la Chaussée des géants : dans l'assemblage de ces cubes. Avec tout ce matériel épars qu'il rassemble, il réalise chaque fois une œuvre homogène, cohérente, vraiment sienne. Il ne plagie donc pas, il a des sources ; il n'invente pas, il juxtapose, il compose ; pour don- ner à ce mot toute sa force étymologique, on écrirait volon- tiers : il com-pose.
Il se défend à bon droit d'être un romancier d'imagina- tion. Dire de lui qu'il est un « romancier de mémoire » cerait rendre un hommage à sa vaste culture et à ses facul- tés mnémoniques, dont il a la coquetterie, mais ce serait en même temps Taccuser de manquer de personnalité, et il y aurait là une véritable injustice. La définition laplusexten- sive et la plus compréhensive à la fois pour Benoît serait de le cataloguer « romancier d'association », signifiant par là son excellence à associer les trouvailles d'autrui et la richesse de ses associations d'idées personnelles qui lui per- mettent de rapprocher et de fondre des éléments aussi éloi-
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