Page:NRF 18.djvu/680

Cette page n’a pas encore été corrigée

^74 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

empruntée au nom de simples héros de roman comme dans le poème qui commence ainsi :

Un soir que je dînais che\ Anna Karénine, Je me trouvais assis près du comte Wronski.

��Cette formation historique et universitaire, en donnant libre cours à cette imagination de bibliothèque, a fortifié chez Benoît un talent inné de mosaïste, dont il avait d'abord, obéissant à sa nature profonde, tiré parti inconsciemment et dont il a eu l'habileté et l'art de se faire ensuite une originalité. On trouve dans la Chaussée des Géants, son dernier livre — qui est (avec le Lac Salé) le plus conscient de tous ceux qu'il a écrits, celui où il a le mieux dominé sa matière, oià chaque ligne e^t intentionnelle — deux révé- lations sur son art qui valent d'être soulignées parce qu'elles montrent à quel point Pierre Benoît connaît ses possibi- lités et ses limites. « Une association d'idées un peu livres- que, écrit-il page 190^ venait de me tenir lieu d'imagina- tion. » Et page 216, c'est un véritable plaidoyer pro donio qu'il, accroche à un éloge de Tristram Shandy : « Quel curieux livre ! Rabelais et Molière avaient passé par là, le nom d'un des héros était pris à Shakespeare... Je le savais, et je ne pouvais m'empêcher malgré tout de trouver ce Tristram Shandy un livre sympathique, original même. Et comme je cherchais les raisons d'une aussi grave inconséquence, j'en vins à me rappeler le cadeau que m'avait fait vingt ans plus tôt, à Marseille, une jeune dame blonde, aux cheveux cou- pés court : un jeu de cubes géographiques. Avec les mêmes cubes, les mêmes, selon qu'on les disposait différemment, on arrivait à obtenir, tour à tour, les cartes des deux Amé- rique, d'Asie, d'Europe, d'Afrique, d'Océanie, du monde entier enfin. »

Les cubes que Pierre Benoît assemble sont tous em- pruntés à l'histoire ou à l'imagination d'autrui. L'on peut sans paradoxe affirmer que Benoît est de tous les Français

�� �