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la couverture ; je le mis en silence dans la poche de mon gilet et quand je lus dehors, je le jetai loin dans la rue, afin que personne ne sût rien. Je sentis immédiatement que je venais de commettre une lâcheté, mais je sentis aussi un certain plaisir car une idée me traversa brusquement et me brûla, tel un fer rouge, et je m’y attardai. Je remarquerai à ce propos que maintes fois déjà j’avais été possédé presque jusqu’à la démence par divers mauvais sentiments dans lesquels je m’obstinais passionnément, mais jamais jusqu’à m’oublier complètement. Lorsque même leur ardeur me consumait, je pouvais toujours les vaincre, les arrêter, même lorsqu’ils atteignaient leur plus puissant développement ; mais il est rare que je voulusse le faire. Je déclare en même temps que je ne cherche pas à plaider l’irresponsabilité, en me référant à l’influence du milieu, ou bien aux maladies.

J’attendis ensuite deux jours. Après avoir pleuré, l’enfant devint encore plus silencieuse ; contre moi, j’en suis sûr, elle n’avait aucun mauvais sentiment, bien qu’elle ressentît certainement quelque honte d’avoir été ainsi punie sous mes yeux. Mais, en enfant soumise, elle s’accusait elle-même pour cette honte. Je l’indique parce que c’est très important pour mon récit... Je passai ensuite trois jours dans mon appartement principal. C’était une maison meublée, où l’on respirait une mauvaise odeur de mangeaille, toujours pleine de monde : petits fonctionnaires, employés sans place, médecins sans clientèle, toute sorte de Polonais, toujours empressés autour de moi. Je me souviens de tout. Je vivais dans cette Sodome très solitaire, solitaire intérieurement, mais toujours entouré d’une bande bruyante de « camarades », extrêmement dévoués et qui m’adoraient presque à cause de mon porte-monnaie. Je pense que nous faisions beaucoup de vilenies ; les autres locataires avaient même peur de nous, c’est-à-dire qu’ils continuaient à être aimables malgré nos polissonneries et nos bêtises, parfois même impardonnables.