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— C’est-à-dire tout. Vous avez beaucoup de temps de reste. Et du duel, vous en a-t-on parlé ?

— Du duel aussi.

— Vous apprenez beaucoup de choses ici. Voilà où les journaux sont inutiles. Chatov vous a-t-il parlé de moi ? Eh bien ?

— Non. Je connais Monsieur Chatov, mais il y a longtemps que je ne l’ai pas vu.

— Hum ! Qu’est-ce que cette carte que vous avez là ? Oh ! La carte de la dernière guerre. Quel besoin en avez-vous, vous ?

— Je l’étudiais avec le texte en regard. C’est une description extrêmement intéressante.

— Montrez ! Oui, ce n’est pas mal décrit. Etrange lecture, pourtant, pour vous.

Il attira le livre vers lui et y jeta un regard. C’était une histoire très détaillée et très bien faite de la dernière guerre, écrite d’ailleurs d’un point de vue non spécialement militaire, mais général et littéraire. Il tourna et retourna le livre, puis le rejeta avec impatience.

— Je ne sais décidément pas pourquoi je suis venu ici, prononça-t-il d’un air dégoûté en regardant Tikhon droit dans les yeux, comme s’il attendait de lui une réponse.

— Vous aussi vous ne paraissez pas bien portant.

— En effet, je ne suis pas bien.

Et soudain il se mit à raconter, en courtes phrases entrecoupées difficiles même parfois à comprendre, qu’il avait d’étranges hallucinations, surtout la nuit, qu’il voyait parfois, ou sentait auprès de lui une sorte d’être méchant, railleur et « raisonnable » qui lui apparaissait sous différents aspects, avec différents caractères, « mais c’est toujours le même, et j’enrage toujours... »

Bizarres et confuses étaient ces révélations qui paraissaient vraiment être le fait d’un dément. Mais Nicolaï Vsièvolodovitch parlait en même temps avec une franchise si extraordinaire, avec une sincérité si étrangère à