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642 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

mets qui lui ôtent tout sens péjoratif et toute signification morale, marque bien que, dans sa pensée, la tendance des êtres de cette espèce n'a rien d'une perversion. Il suffit du reste de se reporter aux quarante premières pages de Sodome et Gomorrhe et au tableau des hommes-iemmes d'un mou- vement oratoire si ample et si brillant.

Le héros de M. Proust reçoit avec répulsion les avances du baron de Charlus, mais après que l'aventure du giletier lui a révélé la nature vraie de son noble ami, il lui voue une sympathie bizarre, qui prend des nuances changeantes, selon qu'il y mêle plus d'admiration, de pitié ou d'ironie.

Qu'il nous dépeigne M. de Charlus, avec ses cheveux gris, sa moustache teinte et ses lèvres fardées, opérant, sur le quai de la petite gare, sa première conjonction avec le violoniste Morel, c'est d'abord un trait un peu caricatural et comique. Aussi l'intérêt que nous portons à ces person- nages, la curiosité qui nous attache au développement de leur caractère, au jeu de leurs désirs, bref, tous les senti- ments qu'ils peuvent inspirer au lecteur doivent nécessai- rement traverser une première zone de cocasserie où l'aventure dépouille toute équivoque mystérieuse et toute ambiguïté esthétique.

Un semblable souci n'est-il pas comparable à celui que Molière eut, à n'en pas douter, de faire aimer l'honnête misanthropie d'Alceste, sans pour cela le poser en mar- tyr, en reprouvé, ni le proposer en exemple.

Lorsqu'il traite des qualités du cœur et de l'esprit, des vertus sociales, de l'amitié, des tourments délicieux qu'en- gendre la délicatesse du goût, de l'aptitude des êtres à rece- voir ou à donner le bonheur et la souffrance, M. Marcel Proust juge et décide avec la plus grande netteté. Aussi bien ne laisse-t-il passer aucune occasion de venger, avec l'esprit qui est le sien, les griefs communs à tous les hommes sensibles et bons.

Les seuls êtres à l'endroit desquels il laisse percer un mépris sarcastique sont ceux qu'il nous représente comme

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