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632 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Lloyd ne portait pas le nom de Gœthe ou de Bach ou de Kleist, mais bien celui d'un général prussien, tout comme avant. Et, quêtant pour remplacer quelques vieilles poutres, il les fait souvenir de la facilité avec laquelle six millions furent signés en un clin d'œil, lorsque, peu de temps avant la guerre, le premier Zeppelin était devenu la proie des flammes. « Tu entendis, peuple », s'écrie-t-il avec une grandiloquence impres- sionnante, c< le ronflement au-dessus de toi de l'hélice, mais tu ne perçus pas l'élan que dans ses chants Gœthe imprima à ton âme. Lui qui nous donna, pour toute la durée pendant laquelle des hommes hanteront cette planète, la certitude du divin, tu ne le vis point, et c'est la machine qui dans l'air retint ton attention.

)) Pareil à Faust aveuglé par les soucis, tu prenais le cliquetis des bêches de Méphisto pour le bruit du travail béni d'une communauté — alors qu'en réalité c'était Satan creusant des tombes : la grande fosse commune de la guerre.

» Veillez », enjoint-il encore à ceux de la vieille génération, à ce qu'un singe ne se glisse dans la dépouille du tigre, et qu'une seconde fois vous ne vous trouviez frustrés de votre âme. »

Du reste il ne semble se promettre rien de bien efiicace de cette vieille génération, et il ne se radoucit que lorsqu'il s'adresse aux jeunes :

« Vous, mes camarades, jeunes filles et jeunes gens, qui avez dans le sang un autre rythme que vos aïeux d'il y a cent ans, ne vous laissez pas intimider par la majesté de la noble harmonie classique... D'autres voies vous mèneront à Gœthe, à travers votre cœur, qui bat comme battit le sien, et s'arrêtera comme le sien s'est arrêté... Nous ne voulons plus souffrir la mort romantique de Werther, ni nous laisser brimer par les Antonio de la réalité '... En plein esclavage politique, relégués parmi le rebut des peuples, c'est l'art qui fera de vous des hommes libres, gardiens de l'esprit immortel. Ah ! que dans l'orage de la défaite, vous puissiez être du côté de Gœthe, quand, après léna et Auerstàdt, aux désespérés qui vinrent lui annoncer le désastre

I. Allusion à l'homme de cour et d'Etat, qui finit, dans Tasso, par l'emporter sur le poète infortuné.

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