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628 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

machinerie allemande, comme sa Hannele, la petite pauvresse, qui ne se représentait pas le Paradis autrement qu'à l'image de la ferme de son oncle oii l'on tuait tous les ans trois porcs gras. Et pourtant l'idée de ce que peut être ce monde entrevu à d'autres profondeurs, par delà les apparences d'une éphémère organisation, revenait quand même le hanter. C'est à propos des Tisserands que Gide disait à peu près ceci : qu'ils cessent d'avoir faim, ils cessent de m'intéresser. Mot bien juste en ce qu'il déniait à l'auteur les dons de l'artiste qui avec de nouvelles formes engendre de nouvelles valeurs, mais aussi bien dur. Comme la faim du corps laisait crier les ouvriers silésiens, une faim, spirituelle celle-là, n'a cessé d'arracher à Gerhart Haupt- mann des accents assez émouvants. Ils résonnent à travers son œuvre, sur des lèvres de héros manques, qui écoutent de mys- térieux appels, cèdent à l'énigmatique attrait d'êtres étranges, à demi femmes, à demi forces des eaux et des bois, que le rude visage de la réalité fait s'évanouir et dissipe. Leurs paroles tentent de rendre ce qu'il y a au fond de l'âme obscure, et qui y restera, inexprimé, indélivré. Aussi ne sont-elles que comme une musique lointaine, un chant de la « Sehnsucht » qui accompagne les actes impuissants, une berceuse de la douleur, de la nostalgie.

On perçoit encore l'écho de ces aspirations inassouvies dans les dernières œuvres. Le poëte vieilli se retourne secrètement vers ses jeunes années dont tant de promesses ont menti. Mélancolique et désabusé il laisse parler Peter Brauer, le peintre bohème qui veut crever seul derrière un buisson, Anna, l'amoureuse, que d'odieuses nécessités ont ravie à l'adolescent Luz, le ruffian de la IViulerhallade, que poursuit le fantôme de celle qu'il aimait en l'assassinant, et dans der weisse Heiland, Montezuma, à qui l'écroulement de sa chimère coûte plus que celle de son empire. C'est là, et non dans la forme de plus en plus lâche et alanguie, qu'est l'intérêt, dans cette tîn d'un drame intime qui en est au dernier acte et qui pourtant ne finit pas. La seule fois où Gerhart Hauptmann tenta de s'affranchir de la réalité allemande, du présent allemand, dans le Fest^piel qui en 191 3 évoquait une « Athene Deutschland » empruntant son inspiration à la Grèce, à la lumière, à la beauté, il manqua son geste. La guerre aussitôt le démentant, lui ôta, semble-t-il,

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