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■^22 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

rien à des modèles anglais contemporains. Si l'on jauge leur importance artistique véritable, je ne suis pas enclin à accorder à nos contemporains en Amérique autant de valeur qu'ils s'en attribuent. Leurs œuvres sont intéressantes, — et l'on se rend bien compte pourquoi pour des Américains elles ont une impor- tance souveraine — mais elles sont intéressantes en tant que symptômes. On y sent une précipitation, une liberté, une espérance peut-être illusoire. Certains des poètes américains les plus en vue me paraissent, derrière une nouveauté et souvent une ingénuité de forme, donner expression à des pensées qui émanent d'esprits ordinaires et conventionnels : je citerai M. Masters, M. Sandburg, et M. Lindsay. Il y a en Amérique plusieurs romanciers de talent d'un intérêt local ; plusieurs critiques de grand talent, mais dont les forces s'emploient surtout à ramener à l'ordre les vices et la stupi- dité de leur propre nation. C'est là un travail fort utile à accomplir, auquel nous devrons peut-être un jour des fruits précieux, mais qui ne présente pas grand intérêt pour l'étranger.

Le lecteur se rendra compte par ce résumé que la littérature anglaise est dans un état de désintégration qui se résoud pour le moins en trois variétés de provincialisme ; — et si l'on se reporte à l'histoire de l'empire romain, il semble que ce processus ait commencé très tôt. Il est certain que nous sommes dans une période instable, mais les faits sur lesquels j'ai appelé l'attention me paraissent correspondre à une aber- ration temporaire, et il suffirait de l'apparition d'un nouvel -écrivain de premier rang pour arrêter cette désintégration. Je ne vois pas comment k littérature irlandaise pourra sur- vivre à l'existence de V Ulysse de M. James Joyce: un livre aussi irlandais qu'il se puisse quant aux matériaux, mais un livre d'une telle signification dans l'histoire de la langue an- glaise qu'il ne peut pas ne pas prendre sa place comme partie intégrante de la tradition de cette langue. Un livre de cet ordre ne donne pas seulement forme à des possibilités incluses dans la langue et jamais encore essayées : il revivifie du même coup la totalité de son passé. « Tout écrivain qui trouve la langue anglaise inadéquate à ce qu'il veut exprimer », me disait un jour M. Joyce, « n'est qu'un cas du mauvais ouvrier

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