Page:NRF 18.djvu/622

Cette page n’a pas encore été corrigée

él6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

une quantité minima d'intérêt le contraint à utiliser des élé- ments nouveaux. Ce sont précisément ces éléments nouveaux qui, en enrichissant le vieux naturalisme, l'ont modifié jusqu'à le défigurer. Symbolisme, humorisme, criticisme (celui-ci issu d'Anatole France), toutes les formules littéraires de la fin du siècle dernier servent de reconstituant tonique au roman natu- raliste épuisé, rajeunissant surtout le détail du récit, la façon de le filmer, de le présenter ou de l'écrire, afin de le rendre plus piquant. Le théâtre fournit aussi sa quote-part, et surtout le Grand-Guignol, renouvelant le sujet et les milieux. Le subjectif, sous forme d'humour, d'ironie ou de pitié, se superpose peu à peu à l'objectivité originelle. Au lieu de s'évader du natura- lisme, on élargit ses frontières, on lui annexe des territoires, des colonies de plus en plus éloignées, on l'impérialise quitte à ce que des Dominions autonomes se constituent bientôt, dont les liens avec le régime de Médan s'amenuisent jusqu'à parfois se briser.

Charles-Henry Hirsch est un des plus curieux exemples de cet impérialisme néo-naturaliste. Dans Nini Godache qu'il repu- blie, si l'on regarde d'un peu près, on découvre un esthète mallarmisant de la Revue Blanche, un impénitent styliste flau- bertien sous le narrateur des humbles fastes de la famille Goda- che. Une image, un tournant de phrase, une lueur de raillerie haussent jusqu'à l'art ce qui pourrait n'être, racontépar un autre, qu'un feuilleton mélodramatique. Les descriptions de la blan- chisserie de la rue du Poteau procèdent un peu du « j'aimais les peintures idiotes, dessus de porte... » de Rimbaud. Il y a dans le parti-pris de conter des scènes populaires ou canailles, d'évo- quer des sentiments médiocres ou bas en un style limé, poli, truffé de vocables rares et de tournures difficiles, de chercher pour chaque plus simple chose des alliances de mots inédites une sorte de mysticisme de l'expression qui ne s'était plus rencontré depuis les Concourt et Huysmans.

Mais, par un contraste curieux, ce pur jeu littéraire se double d'une sensibilité et d'un humanitarisme qui met à chaque instant et, à la minute même où il semblait le plusse rire d'eux, l'écrivain cœur à cœur avec ses pauvres ou tristes héros. Il en a déjà peuplé toute une galerie : apaches, bourgeois veules, paysans âpres, escrocs, sadiques, espionnes. Mais son person-

�� �