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LA NUIT DES SIX JOURS

��Depuis trois soirs on la voyait. Elle était seule, sauf pour les danses, qu'elle ne manquait pas mais avec le professeur ou des copines. Quand on l'invitait, elle refusait ; moi comme les autres, bien que je fusse venu pour elle, et elle le savait. Ce n'était pas son dos lacté, sa robe de jais, trem- blante pluie noire, un excès de bijoux d'onyx, dont des yeux étirés et noués aux guignes de l'oreille ; c'était plutôt son nez aplati, le bondissement de sa poitrine, son beau teint juif de vigne sulfatée, cet isolement un peu louche. Et aussi, plu- sieurs fois par soirée, de curieuses manœuvres vers le lavabo et le téléphone.

Elle payait ses consommations et non le maître d'hôtel. Elle allait des boissons courtes aux boissons longues. Ce furent, ce troisième soir, entre minuit et deux heures, deux champagnes, six anisettes et un carafon de fine 67, sans compter les cure-dents et les amandes vertes.

Elle monta au téléphone ; moi derrière elle.

« C'est Léa. Avez-vous du bon lait ? Ça roule ?... Pas de point de côté ? Il a mangé ? Ah... ? Au biberon ? »

Nous nous connûmes davantage dans le cadre du lavabo sans eau, souillé de pétales, de chalumeaux, de poupées rompues, de cocaïne, de rendez-vous et de poudre Rachel. Elle se considérait sans pitié sous la lampe jusqu'à se baiser sur les lèvres dans la glace. Sur la buée de cette haleine j'inscrivis mon cœur. Elle haussa une épaule.

Elle avait un corsage noir sur lequel des fonctionnaires chinois d'argent se consultaient au seuil d'une pagode.

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