Page:NRF 18.djvu/615

Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 609

familière Second-Empire. Prose familière, tout à fait d'au- jourd'hui, mais ailée de fantaisie poétique, bariolée d'images neuves, trop neuves et trop nombreuses peut-être (comme disait Marcel Proust dans sa préface de Tendres Stocks, « pas toujours inévitables »), mais si agréables qu'on ne songe pas à leur résister. Il faudrait insister longuement sur la qualité pic- turale de la prose de Morand, sur son don d'assembleur de couleurs et de lignes.

Pour se rendre compte de la nouveauté de sa façon de conter, il suffit de songer à tous ses grands prédécesseurs. Il n'y a pas présentement dix façons de conter en France, il y en a trois qui avec toutes les différences possibles, s'apparentent soit à Maupassant, soit à Kipling, soit à Marcel Schwob. Morand nous en suggère une quatrième. Comment la caracté- riser en quelques mots? Papillotement cinématographique, pro- cédés synthétiques dans l'analyse des sentiments, encerclement de l'objet à évoquer au lieu de l'attaquer de front, ellipses, allu- sions, désarticulations, énumérations.

L'exotisme de Morand ? Il est fait d'une prise de contact directe avec le pays, soigneusement préservée de romantisme, d'une connaissance pratique de l'étranger qui s'étale sans aucun respect humain. Comparez à Loti ou à Bourget, vous sentirez la différence. Hermant, Larbaud ici ont précédé, il est vrai, Morand ; Larbaud descend plus profondément que lui dans les particularités de la race et des individualismes nationaux, mais Morand évoque avec plus « d'immediatezza » l'atmosphère pré- sente de chaque pays d'Europe, dont il excelle à noter à la fois la façon qu'il a d'être international et les survivances nationales.

L'étude de mœurs, telle que la conçoit Morand, confine à la sociologie et à l'ethnographie. Particularisés à l'extrême en appa- rence, chacun des héros de Morand se classe en définitive dans un chapitre de géographie humaine. Ces anecdotes rares s'élargis- sent jusqu'à la grande légende et jusqu'à ces mythes où le savant découvre l'influence des saisons, du climat, des grandes inva- sions et la marche des Dieux nouveaux de l'Orient à l'Occident.

Paul Morand, pour sa part, travaille lui aussi à nous délivrer de l'historicisme. Le xx^ siècle sera le siècle de la géographie, en art aussi bien qu'en science et en économie politique, comme le xix^ fut le siècle de l'histoire.

39

�� �