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guerre une loyauté ailleurs exceptionnelle. Mais pourquoi la mémoire de cet Heuland te tient si fortement à cœur, c’est ce que je vois mal. J’ai peine à concevoir qu’il ait pu être honnête homme et perdu son temps à des niaiseries comme ces deux machins que tu m’as montrés tout à l’heure.

Vernois demande sans trop d'assurance :

— Est-ce vraiment si sot ?

Cette fois l’aîné se fâche :

— Comme si tu ne t’en étais pas aperçu tout seul ! Voyons, mon petit, tu te moques. Ou bien tu n’as pas regardé, ou bien c’est un parti pris.

— Il faut croire que j’avais mal regardé.

Mais rarement Vernois s’obstine lorsqu’il voit à son frère un certain coup d'œil attristé.

— Eh bien, oui, je serai franc. Ces mécaniques sont de l’enfantillage. C’est par acquit de conscience que je te les ai montrées et me voici d’autant plus embarrassé pour te faire comprendre mes raisons. À vrai dire, je ne sais trop comment les mettre bout à bout. C’est cette satanée optique de l’arrière. Rien qu’à voir les portraits d’Heuland, j’étais tout dérouté, car il n’avait plus rien, sous ses vestons civils, du gaillard droit et bien pris à côté duquel j’ai vécu deux ans. Mais il y a plus grave. Il y a mille petites choses déplaisantes (je ne passais pas de jour sans en découvrir), des manques d’éducation, de ces riens qui trahissent l’absence de caractère. À mesure qu’on me parlait de lui, le personnage s’en allait en lambeaux ; et ce qui est d’une ironie assez cruelle, dans le même temps Mme  Heuland cessait de voir ces petitesses pour ne plus conserver que l’image apportée par moi.

Thomas réfléchit un instant puis demande :

— Croyais-tu rendre à cette femme un grand service en l’exaltant sur un fantôme ?

— Mais, vieux, s’il a existé dans le bien-être un Heuland sans vigueur d’intelligence ni de volonté, la guerre en a fait