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provoquer une explication de Clymène, qu’il obtient aussitôt.

— Oui, j’ai mis à l’écart un des portraits. C’est vous qui voyiez juste : il n’est pas ressemblant. Je m’étonne de l’avoir eu si longtemps sous les yeux sans y remarquer je ne sais quoi de suffisant, de satisfait, qui répond bien mal à ce qu’était vraiment votre ami. Et vous aviez encore raison : c’est le portrait en uniforme qui est le plus vrai.

Il rectifie comme pour lui-même :

— Qui est le plus beau.

— N’est-ce pas la même chose ? dit-elle naïvement.

Et comme il sourit :

— On nous enseigne pourtant, reprend-elle, qu’il suffit de s’être élevé pendant une seule minute à un parfait degré d’abnégation ou d’héroïsme pour que cette minute efface tout le reste et nous vaille la vie éternelle ou la gloire. C’est l’instant le plus beau qui compte seul. Je ne sais comment vous faire entendre ce que je veux dire. Ah, si vous aviez grandi à Follebarbe, vous comprendriez !

Il veut savoir pourquoi.

— Cela ne peut pas s’expliquer. C’est l’esprit même qu’on respire dans la maison… Tenez, pour prendre un exemple, parfois notre père nous disait inopinément : « Si je vous lisais quelque chose ? » Or dans la bibliothèque du salon il y avait plusieurs rangées de volumes, mais sauf un seul ouvrage on n’y touchait que pour les épousseter. Lire ne s’entendait chez nous que des tragédies de Corneille. (Mon père tenait ce goût de notre grand’mère et le plus clair de notre éducation s’est borné là.) Parfois cette envie le prenait par une matinée de pluie ou, le soir, quand nous tenions déjà nos bougeoirs pour monter nous coucher. Mais, à quelque heure que ce fût, nous poussions des cris de joie, nous battions des mains, bien que toutes ces tragédies nous les eussions entendues dix fois, même celles dont aujourd’hui personne ne sait plus les noms. Il