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55<^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Pourtant j'en croiserai beaucoup de cette espèce-là, — si semblables à nous, et à la fois si imperceptiblement dif- férents, — avant que je sois confirmé dans mes soupçons; ceux que je viens de voir passer là représentent bien une race intermédiaire. Ils n'ont point l'aisance de l'Africain, noir ou blanc, qui se meut dans son ambiance natale ; ils n'ont point l'assurance du Français qui a reconstitué autour de lui, dans la mesure où il l'a pu, les entours qui lui sont indispensables. Etrangères aux sujets, étrangères aux maîtres, étrangères au climat et au continent, ces ombres tristes, fiévreuses et dépaysées représentent l'extrême pointe lancée par l'Asie en terre d'Afrique; j'apprendrai un jour que ce sont des Syriens.

Ah, que l'envie me vient donc de connaître les deux Amériques et l'Australie pour constater de mes yeux com- ment s'y fait, réellement et en profondeur, l'adaptation d'un homme à un pays qui ne l'a pas vu naître ! Car mon regard finit par se détourner malgré moi de tous ceux que j'ai croisés pendant ces dix minutes de marche. Français, Marocains, Maures et Syriens ; une force invincible le ramène à celui qui pourtant représente ici la défaite et l'asservissement ; à celui qui, étant le vaincu, le sujet, le manœuvre, l'exploité, le guenilleux, le prolétaire, n'en est pas moins le seul qui ait la mine de vivre dans son propre pays, et y fasse figure incontestable de propriétaire ; à celui qui, avec évidence, est le roi de cette rue, — au nègre.

JEAN-RICHARD BLOCH

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