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PREMIÈRE JOURNÉE A RUFISQUE 5)1

nolents, cette lippe un peu pendante et ces contours qu'ef- filoche une barbe blanche clairsemée. La crêpeLure. des cheveux surmontée d'un vieux chapeau de paille, le bras gauche posé sur l'appui-fenêtre, il fumait sa pipe en exami- nant le mouvement du port avec une expression curieuse et. bienveillante. Par l'embrasure de la fenêtre passablement surélevée, on apercevait un mobilier du Faubourg Saint- Antoine, un lustre, des bibelots de tombola; il ne faisait aucun doute que le bonhomme se carrait sur une chaise Henri II, émanée en droite ligne de chez Dufayel. Son habillement était d'un ancien pilote, linge blanc et vareuse marine. Il était parfaitement immobile et nous regardait eu fumant.

La maison se continuait à main gauche par un mur de la même aveuglante blancheur,, qu'entaillait une porte en bois plein. Un gigantesque laurier-rose débordait le mur et surplombait la rue avec l'encorbellement de sa verdure sombre e.tdeses fleurs. Nous avons ainsi défilé sous les yeux attentifs du vieux sorcier travesti, qui me donnait d'une façon si mystérieuse et personnelle le salut de l'Afrique.

La courte rue latérale que nous avons prise s'engageait entre deux entrepôts. Les pierres dont ils étaient faits sem- blaient n'avoir subi aucune des douleurs du travail ; leur ivoire gardait son éclat natif, et les murs offraient encore cette réverbération nacrée qu'on ne voit qu'aax fronts d'attaque des carrières. Ces hautes parois immobiles résonnaient toutefois d'une activité intérieure, pour ainsi dire mentale, où dominait le roulement martelé des diables, coupé de la chute claire et flexible des sacs d'ara- chides.

Cent pas plus loin, nous débouchions à angle droit dans la rue Gambetta.

Celle-ci est le type même de la voie moderne, telle que l'ont rêvée et réalisée les colons de Rufisque ; elle est non seulement l'artère centrale de la ville européenne, mais le

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