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548 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

au juste a-t-il remonté le fleuve jusqu'à Kayes, touché Dakar, Rufisque, Kaolakh ou pénétré en Cazamance, je l'ignore ; mais qu'il ait rapporté de ce long cabotage une connaissance intarissable des passes et des mœurs de la colonie et une préférence secrète pour la vie qui s'y mène, c'est une chose qui ne peut pas se nier.

« Vous verrei^, vous verre:^, Monsieur Blô, quand ?ions serons arrivés au Sénégal, vous verre:^ si je n y suis pas connti de tout h monde. »

Je pensais : « Nous n'en sommes pas, Monsieur Chabaneix, à une galéjade prés. »

Me doutais-je que je verrais sa prédiction se réaliser si pleinement ? Car si beaucoup de noirs jouaient avec lui au jeu qui leur plaît tant, de parler pour entendre le son de leur voix, pour zézayer quatre mots français et pour induire un toubab à attacher une importance particulière à leur salutation, ma surprise devient grande d'en voir deux, trois, quatre se dresser tout debout, lever les bras en l'air, écarquiller la figure d'un plaisir qui n'est plus feint^ et

��s'écrier

��« Hé hé, Moussié Chah'nesse, hé hé capitaine, Moussié ChaF- nesse, moussié Chah'nesse ! »

On le reconnaît. Surprise plus grande encore, il recon- naît ; il s'arrête, se retourne, et, sans une hésitation, met des noms sur les noires figures,

« Té, Ahdoulla, té, Boukfall, té, vieux, tu nés donc pas mort ?

— Hé hé, cap'taine, hé hé, moussié Chah'nesse ! »

Ils se dandinent en tapant leurs mains l'une dans l'autre ; je vois leurs yeux rieurs s'humecter de la pure félicité d'avoir été désignés par leur nom, signalés entre tous par ce toubab superbe.

« Hé hé, Moussié Chah'nesse, second Mauritanie ? Hé hé?

— Non, non, plus second sur Mauritanie, je suis maintenant cap'taine du grrand hateau là-bas.

— Hé hé ! Hé hé!

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