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PREMIERE JOURNEE A RUFISQ.UE ' 543

bras, dans une attitude magnifique, une perche qui faisait office de vergue et maintenait au vent le carré de linge rapiécé qui servait de voile. Un bout de mât compose, avec une ficelle et une poulie, le gréément de ces embarca- tions minuscules, dont la largeur ne va pas à un mètre et dans lesquelles les mandiagos font des traversées de cin- quante milles.

Tout cela produisait en rade une animation extrêmement pittoresque à la contempler du haut d'un solide cargo en acier. Quelle fausse honte m'empêcherait d'avouer que, du fond d'une coquille de noix, rendue très peu maniable par la houle, ce spectacle n'a pas tardé à me paraître assez impressionnant ? D'autant plus impressionnant que, à y mieux regarder, l'équipage de tous ces bâtiments — cotres, gabares, pirogues et remorqueurs, — était exclusivement composé de noirs.

Je manquais alors de la moindre notion sur les capacités nautiques des indigènes. Je n'apercevais d'eux que leurs gesticulations, leurs clameurs confuses et leurs corps sus- pendus en chapelets après les fardages ; quand un cotre passait près de nous, au-dessus de nous, à trembler, faisant siffler l'eau et nous éclaboussant d'écume, j'avais juste le temps de fixer le souvenir des yeux sanguinolents que le timonier dardait droit devant lui avec une intensité d'expression presque hagarde.

« Nage, nage ! » criait M. Chabaneix à nos trois mate- lots ; et chaque fois que ceux-ci voyaient grossir un autre de ces monstres, dans un tourbillon de cris menaçants, ils s'arc- boutaient sur leurs avirons à les faire plier. Je sentais notre lent et frêle canote entièrement livré à l'humanité, au coup d'œil, au sang-froid et à l'habileté manœuvrière des étranges animaux déchaînés sans contrôle sur cette radej j'ai trouvé tout à coup mon destin précaire et misérable.

Je devais plus tard apprendre que les noirs de cts parages comptent parmi les meilleurs marins du monde, que leur audace et leur adresse sont estimées sans rivales.

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