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Poline répondit qu’il était social-démocrate et qu’il servirait non pas le trône et l’autel, mais l’État et la nation. Léon Nicolaïévitch me demanda : « Qu’en penses-tu ? Peut-on s’enrôler sous ce drapeau là ? »

Je répondis que les gens qui faisaient des sottises ou commettaient des crimes fût-ce au nom de l’État, voire même au nom de Dieu, n’en étaient pas moins un fléau dans la vie.

« C’est un point de vue », répliqua Léon Nicolaïévitch, et je demanderai à Poline où commence, où finit cet État pour le service duquel il se déclare prêt à apprendre le métier des armes : au delà du village, par delà Moscou, de l’autre côté de la Volga ? »

« S’il veut absolument parquer ses frères dans une frontière comme aujourd’hui, au delà de cette frontière il y aura toujours des ennemis auxquels il lui faudra bon gré mal gré faire la guerre et c’est à faire la guerre que l’amènera son service. Tandis que s’il considère que la terre entière est sa patrie, son service devient inutile : il n’aura plus avec qui combattre. »

Le camarade[1] de Poline dit alors : « Nous avons lu qu’il existe des sectes où l’on refuse de faire le service. Ces dissidents invoquent la Sainte Écriture qui contient une défense. Moïse a dit : Tu ne tueras point et le Christ a prescrit d’aimer même ses ennemis. »

« C’est un terrain peu solide, » répliqua Léon Nicolaïévitch, « il existe beaucoup de textes. Moïse avait écrit : Tu ne tueras point. Mais Napoléon écrira : Va et tue ! Ce n’est pas parce que Moïse ou le Christ ont défendu de faire du mal au prochain ou à soi-même que l’homme doit s’en abstenir. C’est parce qu’il n’est pas dans la nature de l’homme de se faire ce mal ou de le faire au prochain — je dis de l’homme, je ne dis pas de la bête, prenez-y garde. C’est en toi même qu’il te faut trouver Dieu afin qu’il règle tes

  1. Ce camarade a de son côté rédigé ce dialogue.