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du couvent de Chamordino. Voici près de vingt ans que je suis sans entendre un mot de français ; mais je crains que vous ne sauriez déchiffrer mes pattes de mouche, vue mon écriture impossible, si je vous écrivais en russe. Vous désiriez savoir ce que mon frère est allé chercher au couvent d’Optino ? Serait-ce un starets[1] doukhovnik ou un homme sage et vivant en retraite avec Dieu et sa conscience qui le comprendrait et pourrait offrir quelque soulagement à son grand chagrin ? je suppose ni l’un ni l’autre : gore ego bylo slichkom slojno ; on prosto khotiel ouspokoitjsa i pojitj v tichoï i doukhovnoi obstanovkié[2]. — Les fâcheux malentendus qui ont les derniers temps obscurci l’existence de mon frère avec sa femme ont à la fin éclaté en catastrophe inévitable : plus Léon montait avec toute son âme et son esprit au ciel, plus elle plongeait dans son cher terre à terre ! Pauvre, cher Léon, comme il était content de me voir ; comme il désirait s’établir chez nous à Chamordino, « esli tvoi monachki ménia né progoniat[3] » ou à Optino. Je ne pense pas qu’il voulût redevenir orthodoxe, No ta nadieialas chto nach starets kotoryi na vsiekh neotrazimo dieistvoval svoei krotkostjiou i lioubovjiou, vozbondit ou nievo tchouvstvo oumileniia douchovnavo, hotoroe on nevo éschtcho né bylo, no kotoroé ouje bylo blizka k némou posliedneé vremia. — I vol on ouiéchal, i oumér milyi dofogoi moi Lévotchka, kak ia privykla égo zvatj. Chlo émon Sacha (sa fille) skazala, kogda ona priiechala, ot tchevo on tak vniézapno ouiéchal, nikto, ia daje s nim néprostilas, néznaiou (sic). Ne mogou boljché pisatj[4]. Je

  1. Starets, confesseur. Voir sur ce mot, Union pour la Vérité, Correspondance, 1er janvier 1911, n° 4.
  2. Sa douleur était trop complexe ; il voulait tout simplement se calmer et vivre dans un milieu tranquille, spirituel.
  3. Si tes nonains ne me chassent pas.
  4. Mais j’espérais que notre starets qui avait une action irrésistible par sa douceur et son amour réveillerait en lui le sentiment d’humilité spirituelle qu’il n’avait point encore mais dont il n’était pas éloigné dans les derniers temps ; et voici qu’il est parti et qu’il est mort en route, mon Lévotchka, comme j’étais habituée à l’appeler. Ce que Sacha lui a