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4é LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

on le concède, mais comme l'infirmité de la science plutôt que sa vertu. La guerre a développé une promptitude de riposte, par suite de quoi la discussion, qui pouvait être moyen d'investigation, n'est plus qu'épisode de lutte. La réflexion même n'est plus qu'une phase de la tactique. Qu'en ces sortes d'escarmouches vous puissiez trouver avantage à être vaincu, pour peu que ce revers vous débarrasse d'une idée mal venue ou d'une prétention erro- née, voilà qui n'entre plus dans beaucoup de cerveaux. On rit à la pensée que telle découverte morale, telle exploration dans les replis des sentiments ne puissent se faire, tout comme les découvertes scientifiques, qu'avec des précau- tions particulières d'isolement et d'impartialité. Ne peser en rien sur le résultat de l'expérience, pas même par un désir qui risquerait d'en fausser l'interprétation, c'est la loi majeure des recherches exactes, celle qui ne pardonne aucun manquement. Or n'est-ce pas l'inconsciente applica- tion de cette règle d'or à un autre ordre d'investigations que définit Ménalque lorsqu'il dit : « Je me suis fait ductile, à Vamiahle, disponible par tous vies sens, attentif, écouteur jus- qu'à ne plus avoir une pensée personnelle, capteur de toute émotion en passage, et de réaction si minime que je ne tenais plus rien pour mal plutôt que de protester devant rien. »

Dans cette période de l'élaboration intellectuelle, il importe qu'aucune arrière-pensée, qu'aucune intention n'intervienne. On a reproché à Gide d'admirer ce mot de Renan : « Pour pouvoir penser librement, il faut être sûr que ce que l'on écrit ne tirera pas à conséquence. » Impertinence de dilettante ? Bien plutôt scrupule d'un homme qui sait quels lointains contre-coups tout geste provoque, au point que ses mouvements en sont gauchis. C'est une des préoc- cupations qui reviennent le plus souvent dans l'œuvre de Gide que ce souci de se ménager des zones de solitude et de silence, où sa pensée puisse se fortifier comme un jeune cheval auquel on se garde d'imposer trop vite des far- deaux. Quelle autre explication donner à ces longues

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