Page:NRF 18.djvu/506

Cette page n’a pas encore été corrigée

500 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un effort pour se guinder, pour « faire grand », mais ici, du moins dans la première partie, il y a une noblesse et une gran- deur naturelles, une richesse en oxygène pur qui réjouit et élève l'âme. Les cent vingt-cinq premières pages où tous ces paysans s'abandonnent isolément et de concert à leur bonheur sont de premier ordre. Et que l'on songea la difficulté qu'il y a à évoquer un bonheur immobile et à le propager dans l'âme du lecteur. L'histoire des réprouvés est contée avec moins de sim- plicité et à l'aide des procédés ordinaires aux récits de terreur. Ce n'est point par hasard que le nom de Roumanille est venu sous ma plume. Ramuz est un félibre suisse. Il traite le français comme un dialecte, mêlant l'archaïsme, le provincialisme et l'incorrection savoureuse. Quand il fait penser à Claudel ou à Péguy, il est moins aimable. Mais quand il est lui-même, il donne une note rustique et noble qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans la littérature française d'aujourd'hui.

BENJAMIN CRÉMIEUX

BRELAN MARIN, par Eugène Moutfort (Bibliothèque des Marges).

Ce charmant petit livre, le premier de la Bibliothèque des Marges, contient trois nouvelles : Le Revenant des Cappucini, la Soirée Perdue et Mon Ami de Guernesey. Je ne sais si l'auteur se connaît à ce point lui-même et s'il l'a fait exprès, mais il y a là les trois formes d'esprit que les amis d'Eugène Montfort lui découvrent, quand, après un long commerce, ils ont pénétré cet homme distrait et volontiers distant. Le Revenant des Cappu- cini révèle un poète imaginatif et sensible, effrayé des fantômes qu'il enfante, et qui n'est pas sans parenté avec Gérard de Nerval. Là Soirée Perdue est d'un dillettante à la curiosité insa- tiable, qui fait de l'amour la chose la plus importante de sa vie, et trouve dans l'aventure la plus banale une source de plaisirs aussi voluptueux qu'intellectuels. Mon Ami de Guernesey, enfin, est d'un humoriste indulgent ; j'ajouterai, à ce propos, qu'Eugène Montfort, qui a du trait et des convictions esthétiques, aurait pu devenir un pamphlétaire de la littérature si le sens du comique ne le détachait presque aussitôt de ce qui commence par l'irriter.

�� �