Page:NRF 18.djvu/487

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme on nous le montre, comme un élégiaque, un homme faible et plaintif, pour passer ses jours à souffrir et à gémir. Alceste n’est pas du tout un homme mélancolique et larmoyant, ténébreux et chimérique. Il est, au contraire, solide, bien campé, combatif, fort bien portant, très réaliste. C’est encore une jouissance qu’il éprouvera à se trouver seul, loin de tant de sots, de bavards et de faiseurs, et à pester de loin contre toutes leurs façons. On connaît le paradoxe de Rousseau : « Alceste représente la vertu. On doit rire de lui. Donc, on doit rire de la vertu. )) Mais non ! Ce n’est pas de la vertu qu’on rit. C’est des façons qu’il apporte à combattre en sa faveur. Alceste doit faire rire comme un homme qui se met trop facilement en colère après les travers et les ridicules. Il est l’homme qui a raison et il doit faire rire par contraste avec nous-mêmes, qui avons notre nature faite de tous les défauts qui le choquent et y ajoutons cette prétention de trouver que nous sommes bien ainsi et que c’est lui qui est un butor et un maladroit dans sa franchise et dans son mépris des conventions sociales. Il doit faire rire encore par la mine que font ses victimes sous ses coups de boutoir.

Tenez, le Misanthrope c’est quelqu’un que je connais. Ce quelqu’un fréquente une maison dans laquelle fréquente également une vieille fille sotte, cancanière et bavarde, dont le signe particulier est à la lettre celui-ci : qu’elle ne répète pas moins de six fois de suite chaque détail de sa conversation. Ce quelqu’un que je connais, qui n’est pas bavard, qui a horreur de certaines sociétés, qui est pour qu’on dise en trois mots ce qu’on a à dire et sans rien déguiser, ne peut la supporter. Quand il est là et qu’elle arrive, il se renfrogne et attend avec impatience qu’elle ait fini et le débarrasse. L’autre jour, après qu’elle avait parlé pendant une demi-heure, le voyant muet elle s’approcha de lui : « Et vous, Monsieur... qu’en pensez-vous?» Il leva un peu la tête : « Moi, Madame, lui répondit-il, j’aime le silence. » Elle prit le chemin de la porte et à la maîtresse de la maison qui l’y avait accompagnée : « Est-il malhonnête ! » dit-elle.

Le Misanthrope, c’est encore ce même quelqu’un que je connais. Il aime la simplicité. Il a horreur des compliments. Il a aussi peu de vanité qu’on en peut avoir. C’est un de ses mots favoris : « On a du talent comme d’autres sont bêtes, sans y être pour rien. Il n’y a pas là de quoi se pavaner. » Il a aussi