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480 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

m'intéresse vraiment à lui comme à quelqu'un que je connais, qui vient de me quitter pour monter là dire leur fait à quel- ques gens, et que je retrouverai tout à l'heure à la sortie. Je ne sais pas comment on jouait ce rôle au temps de Molière ni si la manière dont on le joue à la Comédie française la répète fidè- lement. Je viens d'y voir M. Jacques Copeau. J'y ai vu ensuite M. Lucien Guitry. Je voulais aller voir ce qu'il est à la Comédie française, mais le rôle est tenu en ce moment par M. Raphaël Duflos et la seule idée de voir un si mauvais comédien m'a découragé. M. Jacques Copeau est certainement un acteur de beaucoup de talent, bien qu'un certain esprit, très fort en lui et sur lequel il est difficile d'insister, le rende surtout propre à certains rôles, M. Lucien Guitry est un maître. Ni l'un ni l'au- tre pourtant ne sont Alceste tel que je le vois, et, j'ose le dire, tel qu'il doit être exactement.

C'est tout d'abord un point indiscutable : Alceste doit faire rire. C'est l'homme franc, courageux, désintéressé, sensible, modeste, timide aussi, et pour tout cela brusque, bourru, sus- ceptible, prompt, vite emporté, un peu gauche et maladroit, pouvant passer pour malappris. Il aime, et quand il veut être tendre, étant trop sincère, jouant toujours franc jeu, allant droit au but dans ses paroles, il est un peu brutal et choque au lieu de plaire. Il manque de patience devant la sottise et la vanité et quand un importun l'assaille, c'est à grand'peine qu'il se retient de l'envoyer au diable. Quand il souffre que Célimène, qui n'est pas du tout, elle non plus, la grande coquette à pana- che qu'on nous a faite, mais une jeune femme sans beaucoup de fond, aimant la société et ses caquetages, réponde si mal à son amour, c'est en rageant en même temps contre la légèreté, la coquetterie et le bavardage féminins qui sont cause de ce désac- cord. Quand il dit aux gens la vérité sur leur compte et qu'il s'emporte de les voir si lâches et si hypocrites, ce n'est pas seu- lement par amour de la vérité et de la droiture : il y trouve encore un très vif plaisir. Quand il se réjouit à l'idée de perdre son procès et se refuse à rien tenter pour le gagner, ce n'est pas seulement par amour de la justice et haine de l'intrigue, c'est encore par satisfaction de voir un coquin l'emporter et de pou- voir par là renforcer en lui son dégoût de l'humanité. Enfin, quand il prend le parti de se retirer du monde, ce n'est pas,

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