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CHRONIQUE DRAMATIQUE 475

totalement étranger à Stendhal, et que lui-même surtout a net- tement formulé son désir de n'avoir aucun monument de ce genre, rien que l'idée du discours sophistique de M. Paul Bour- get m'a fait rester chez moi ce jour-là.

Je le dis souvent ,et je le pense fermement : on n'a jamais vu une époque plus bète et plus laide que la nôtre. Le sens de l'art, de la littérature, comme un moyen de plaisir et de bonheur, se perd de plus en plus. On veut absolument qu'un livre serve à démontrer quelque chose, à prouver quelque chose, à améliorer quelque chose. On vous fait de Molière un écrivain social et de Stendhal un patriote d'antichambre^ Pauvre Molière, qui fut, pour son époque, un esprit si hardi, attaché aux idées nouvelles, tout le contraire d'un courtisan, combattant à sa façon les doctrines établies et l'Es^lise ennemie des choses de l'esprit ! Pauvre Stendhal, qui fut la liberté d'es- prit en personne, sans préjugés ni rien d'officiel, qui ne vit et chercha en tout et partout que le plaisir ! Etre travestis à ce point, et par un écrivain que l'un et l'autre eussent abominé, et qui, lui-même, vivant en leur temps, les eût abominés ! C'est un spectacle fertile en réflexions.

Mais laissons cet académicien morose, froid et guindé, qui se prend au sérieux, ma parole ! Toute son œuvre n'est que du papier imprimé et il n'a même pas ce mérite, étant un homme qui écrit, d'être au moins un écrivain vivant, ce qui pourrait lui faire pardonner, les vraies idées et l'originalité n'étant pas don- nées à tout le monde, de n'avoir rien découvert, ni inventé, ni jamais rien dit de personnel et d'intéressant. Il n'est amusant que par ses airs, qu'il a si bien gardés de sa jeunesse, de provin- cial qu'éblouit la vie de Paris et la fréquentation de la « haute société ». Dans ce genre, il est unique. Avez-vous vu un roman qu'il a publié récemment ? Cela s'appelle Un Drame dans le monde, et c'est, entre parenthèses, l'histoire la plus rocambo- lesque. Eh ! bien, tout M. Paul Bourget est dans ce titre, qu'on dirait celui d'un feuilleton pour petites ouvrières, destiné à es faire rêver sur les amours d'une duchesse et d'un marquis. On sent tout ce que ce mot : monde, dans cette acception, garde encore de prestige pour lui. Nous disons quelquefois, nous autres, en riant, quand nous allons en soirée : Je vais dans le monde. M. Paul Bourget, lui, doit dire cela sérieusement.

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