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LE JEUDI DE BAGATELLE 39

cassé. L'odeur de l'herbe humide et de la boue se fait plus drue. La lumière du couchant héroîse les êtres. Depuis la clarté de l'or jusqu'au sombre hâle brun de brique^ les visa- ges portent toutes les couleurs du feu.

Voici le soir, voici la grande nuit fraîche, la nuit au grand corps, ardente de fraîcheur. Vous rentrerez dans la nuit faite ; tous les réverbères seront allumés. Allons, rompez ces jeux. Dites que c'est l'heure. Donnez ce coup de sifflet qui perce encore mon passé comme un cri... ÇA soi-même, pendant que l'abbé fait cesser les ;Vmx.) Est-ce que j'ai parlé ? M'a-t-on entendu ? Calme était mon cœur quand je vins, sous les grands arbres, auprès de mon chien aux dents blanches. Depuis longtemps ma lèvre était serrée sur l'im- mobilité de ce cœur rigoureux, si fort qu'une petite plaie lui était venue qui jamais ne put se faire cicatrice. Et voici qu'au fond de moi-même un visage s'est rouvert auquel j'avais fermé les yeux. Il s'est rouvert, il m'a souri, il m'a fait lourd comme l'éponge pleine. Et j'ai eu froid, et ma lèvre a tremblé. O ma faim ! ô ma soif ! jusqu'au dernier jour, jusqu'au dernier jour. Et que vous me soyez douces encore, dans les ténèbres.

L'abbé, revenant. — Ils vont changer de vêtements dans la maison de la Pompe à feu...

On entend les roulements de tambours des jeunes soldats du Mont-Valérien, qui s'exercent sur les berges du fleuve.

Moi. — J'en vois un, tout là-bas, dans la poussière vio- lette, vers Suresnes. Tandis que tous les autres se rassem- blent, lui s'écarte toujours de plus en plus. Seul, ivre du soir, de l'angoisse du crépuscule, il court après le ballon de toutes ses forces, et quand il Ta rattrapé il l'envoie plus loin, et le poursuit encore, comme condamné à un supplice fabuleux qui l'empêche de plus jamais s'arrêter, comme pris d'une démence divine. Jusqu'où ira-t-il ? Est-ce qu'il est protégé ? Je prierais pour lui si j'étais son père.

L'abbé. — On ne le voit plus.

Moi. — J'en vois deux qui portent un poteau de but

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