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le réconfortais de toutes les chimères qui me venaient à l’esprit. Dans cet instant, nous trouvions vraiment l’un dans l’autre ce dont notre faiblesse à chacun manquait le plus. Non que je veuille comparer la valeur de ce que nous nous donnions réciproquement : de mon côté, le plus vain bavardage : du sien, ce qu’un homme perdu dans le brouillard et la boue possède de plus précieux, des vivres qui pouvaient, quelques heures plus tard, lui faire cruellement défaut. Mais tous deux, nous avons gardé de ce tête-à-tête un attachement sentimental qui ne s’est pas démenti et que nous n’éprouvions pour aucun autre camarade. Je n’ai pas raconté ce trait au général : le chocolat l’aurait fait sourire ; ce n’est pas matière à citations. Mais je me suis toujours promis que si, quelque part, on gardait de l’affection à la mémoire d’Heuland, on connaîtrait cette anecdote qui, pour moi, le peint avec tant de vérité.

Devant l’émotion de Clymène, Vernois soudain se sent penaud d’avoir remué ce souvenir avec si peu de circonspection. Mais elle n’a pas coutume de se laisser aller :

— Oui, dit-elle simplement, c’est bien lui.

Il reprend au bout de quelques secondes :

— Je me représente mieux que naguère tout ce qui pouvait séparer deux hommes tels qu’Heuland et le général de Pontaubault.

— Oh, non, s’écrie-t-elle, vous ne le savez pas encore ! Pour commencer à le deviner, il faut être monté dans la vieille tour de Follebarbe puis avoir longé la grille de l’usine à Levallois. Il vous avait sûrement parlé de Follebarbe ? Il vous en avait au moins dit le nom ? C’est l’endroit du monde le plus beau. Les gens qui passent sur la route et qui voient au-dessous d’eux ce pauvre petit château de granit, avec son étang rempli d’herbes et son boqueteau de sapins, s’imaginent qu’on doit y mourir de mélancolie. Mais si vous arrivez par le fond du vallon, et que vous débouchez brusquement dans la cour, vous sentez tout de suite que vous êtes dans un royaume de fées.