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refuse de l’accepter, comme si elle n’avait pas ses bonnes raisons pour être là. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : qu’elle est peu de chose ou qu’elle n’est pas plus atroce dans telle condition que dans telle autre. Mais (libre à vous de voir en moi un esprit gauchi par le métier) j’estime viril de ne pas perdre son temps à la qualifier ou à la maudire. C’est en créant de la vie nouvelle qu’on la combat.

La force de ce langage calme la nervosité de Vernois mais ne vainc pas son entêtement :

— Il n’en résulte pas moins qu’Heuland a eu tort de mourir.

Dans l’intransigeance du jeune homme, tout n’est pas pour déplaire à son ancien chef.

— On a souvent raison d’avoir tort, mon ami. C'est moins simple qu’il ne paraît d’abord. Vous avez 28 ans ? 30 ans ? Tant mieux si vous raisonnez moins sèchement qu’on ne fait à mon âge. Admettons que je n’aie rien dit, voulez-vous ? Et prenons date pour une visite à ma nièce.

— Je crains qu’il ne me faille repartir dès demain, mon général.

— Drôle de garçon ! Vous aviez parlé de rester quinze jours. Enfin, si vous changez une seconde fois d’avis, vous saurez où me rencontrer. Bonsoir.

Chagrin, Vernois ne va même pas jusqu’au prochain banc, mais s’assied à l’endroit où il se trouve, sur le bord du môle, les jambes ballantes, les regards tournés vers l’eau noire où danse le reflet d’une lanterne. Il sursaute en s’apercevant qu’il est observé depuis un moment déjà et que la jupe blanche de Mlle  Gassin est arrêtée à deux pas de lui.

— Il vous a condamné aux arrêts de rigueur ? Il vous a défendu de me parler ? Il vous a dit du mal de moi ? Enfin que vous a-t-il fait pour vous plonger dans une pareille mélancolie ? Peut-on s’asseoir à côté de vous ?

De deux ou trois coups de sa casquette, Vernois balaie