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Mais déjà elle a peur de sa propre hardiesse et, plus encore, de cette sincérité masculine qui parfois se venge si lâchement sur une femme des humiliations que d’autres femmes ont pu lui faire endurer. Aussi sa voix redevient-elle discrète, égale :

— Le terrible pouvoir que vous déteniez, n’avez-vous jamais eu la tentation de vous en donner la preuve à vous-même, non en faisant mourir, mais en sauvant malgré lui un de ces pauvres garçons ?

— Ce que tu appelles sauver un homme, c’est dans un cas pareil rejeter le danger sur d’autres. Si j'ai commis quelques charités de cet ordre, je n’en suis pas fier en tout cas. Oui, tu me fais souvenir d’un de mes téléphonistes, un gamin qui sifflait et chantait toute la journée et qu’on ne pouvait pas plus songer à envoyer sous les obus qu’on n’imagine de tirer sur un rossignol. Je crois bien qu’une fois, juste à temps, je l’ai fait partir pour l’arrière…

Mais il se sent, malgré tout, sur terrain glissant :

— Encore de tels manquements à la justice n’ose-t-on se les permettre qu’en faveur d’hommes qui ne peuvent pas en mesurer le sens véritable, de très petites gens, qui n’ont pas, dans cet ordre de choses, les mêmes susceptibilités que nous.

Clymène a compris tout de suite où tendait cette précaution, et sa fierté se révolte :

— Vous pensez bien que mon mari aurait refusé une pareille faveur !

Craint-elle qu’une ombre de doute ne se marque sur les lèvres de son oncle ? Mais il murmure d’une voix si naturelle : — Personne n’en doute ! — qu’elle regrette la naïveté de son exclamation ; et comme il ne se laissera pas deux fois interroger si docilement, elle se remet à l’encercler avec une craintive audace :

— Du moins, vous redites-vous parfois les noms de ceux à qui vous avez donné l’ordre d’un si grand sacrifice ?

— Faut-il te répéter que mon rôle était plus modeste ?…