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382 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Renouant la tradition des moralistes, il a exploré les cœurs ; il a cru aux choses de l'âme, de laquelle il a décrit, expliqué les passions. Avec lui, le ton s'est élevé ; Marcel Proust a rejoint les grands connaisseurs des vicissitudes humaines dans l'étude qu'il a entreprise de l'homme. De fin, il ne s'en est pas proposé d'autre, mais il nous suffit, pour lui rendre grâces, qu'il ait rempli les vastes limites qu'il s'était tracées.

Déjà, dans la Nation du 7 décembre 1921, Ellen Fitzgerald avait présenté l'œuvre de Proust aux lecteurs américains :

Le roman de Proust n'a pas de héros, pas de personnage dominant dont la destinée captive l'attention du lecteur. Si en lisant les volumes de Proust, on ne sait pas voir un triomphe de la technique du roman, dans la iaçon impersonnelle, anonyme dont il dépeint pour ainsi dire à contre jour l'enfant, le garçon, l'adulte qui remplissent successive- ment le rôle de héros, si on ne comprend pas que la maîtrise de Proust apparaît d'autant plus grande que c'est précisément en obser- vant cette réserve envers son personnage qu'il se crée la perspective sous laquelle il étudie, analyse, projette et peint des groupes dans leur ensemble, on ignore ce qu'il y a de plus merveilleux dans son art. Dans l'œuvre de ce grand magicien il n'y a pas à proprement parler d'histoire qui se puisse raconter, mais sous sa main se cristallise un monde complexe et vaste et pourtant tout en nuances, à côté duquel le monde si multiple d'un Balzac apparaît décousu et fortuit, et celui de Jean Christophe une création très simple.

Et plus loin :

Peu à peu une philosophie se dessine à travers ce tissu de vies enchevêtrées, et, c'est étrange à dire, cette philosophie présente des analogies avec le grand motif qui inspire le roman tel que Scott, Balzac, et Henry James l'ont conçu, je veux dire que ce qu'il y a de neuf a moins de valeur que ce qu'il y a d'ancien, que l'avenir ne doit pas porter atteinte au passé. L'ancienneté est la note qui revient tou- jours dans le roman de M. Proust. C'est une œuvre dans laquelle un homme dont la vie est imprégnée de vieillesse retrace ses souvenirs. L'enfant, le garçon, le jeune homme sont vieillis par le contact avec un groupe de vieilles gens : les grands parents, et leurs familiers, et leurs domestiques

Les Français sont un peuple courageux ; ils n'ont pas peur de leurs propres émotions, et ce sont des artistes ; ils n'ont pas peur de leurs vices, et ce sont des moralistes ; ils n'ont pas peur des idées, et ce sont, dans le sens vrai du mot, des intellectuels. A chacun de ces trois points de vue, M. Proust est un vrai Français de France.

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