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350 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de sel ; il les comprendra à sa façon ; et, s'il en retire des fruits, c'est qu'il a l'âme bien faite, et capable de transformer en prunes succulentes et douces à sa gourmandise les pommes de terre nourrissantes que l'on offre à son appétit.

Et cette « Pieuse enfance » n'est point une enfance mystique. Décadi ne demeure pas des heures en adoration devant l'autel ; s'il prie trop longtemps, il s'endort, quand il n'a pas pu s'échap- per pour aller jouer aux billes ; il ne se soucie pas du mvstère de l'Incarnation, et la question de savoir si les bêtes parlent la nuit de Noël lui semble un mystère plus excitant, et plus digne d'être, éclairci. 11 aime le bon Dieu, la Sainte Vierge, son grand- père, ses parents, ses amis, les fçuits et les gâteaux, et l'ânesse du père Garbasse. Que peut-on lui demander de plus ? C'est un petit Français, qui est heureux de vivre, qui pleure quand il a delà peine, qui rit quand il est heureux, qui interroge quand il ne comprend pas, et arrange à sa façon les réponses qu'on lui fait, pour qu'elles deviennent intelligibles, et satisfaisantes. C'est une pieuse enfance puisque ce petit enfant fait son métier de petit enfant, et le fait bien, et suitlesrègles qu'on lui impose, comme il les entend, et a bon cœur.

On ne s'aperçoit pas tout de suite de cette fraicheur, de cette simplicité, de cette vérité, parce que cet enfant ingénu est pré- senté par un auteur ingénieux. Décadi n'est pas seul en scène ; toute une petite ville de province s'agite autour de lui ; des personnages diserts s'entretiennent avec élégance, et, quand ils parlent à Décadi, on sent bien qu'ils ne parlent pas seulement pour lui, mais pour être entendus des lecteurs de M. Cazin. Et comme ils s'expriment bien, qu'ils ont beaucoup d'esprit et d'intelligence, les lecteurs de M. Cazin ne songent pas à le lui reprocher. On prend ainsi la double image de ce petit monde provincial, tel que le peint, dans sa vérité et son ironie, un écri- vain observateur et fin, et tel qu'il apparaît à Décadi, dans la simplicité de son âme sans malice, mais non sans ingéniosité. Je disais que ce petit homme ne pouvait être qu'inventé. Com- ment aurait-il pu, en vérité, conserver dans son souvenir un double aspect si différent ? due tous ces personnages aient existé, je n'en suis pas bien assuré ; mettons qu'ils ont existé juste assez pour servir à M. Cazin de prétexte à les inventer. Mais je suis bien certain que si Décadi a vécu, l'année dernière

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