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LE JEUDI DE BAGATELLE 29

à provoquer un divorce auprès duquel celui des époux paraît dans l'ordre : le divorce entre le garçon et ses parents.

De ceci je parle avec une grande indépendance. Je n'ai eu qu'à me louer de mon père, et ma mère, très jeune d'âge, plus jeune ejicore de nature, me fit libre avec elle comme une sœur. Je n'ai pas là-dessus d'expérience per- sonnelle. Mais j'ai vu et j'ai entendu. J'ai reçu quelques confidences. Elles m'assurent dans la conviction qu'en cette matière ce que je devinais confusément est bien au-dessous de la réalité.

Des hommes me parlent. Ils ont vingt-cinq, trente-cinq, quarante ans. Ils en avaient quatorze le jour où la vie, en ricanant, a levé le masque. La Gorgone ! et ils la croyaient Ange ! Efi"royable apparition devant laquelle j'ai vu des gar- çons décomposés comme devant un spectre, du soir au len- demain le sang tourné, avec la fièvre et des vomissements. Mais je m'abuse ; vous êtes là-dessus plus savant que moi ; il me faudrait, pour vous instruire, vous raconter dans le détail les drames dont ces hommes m'ont fait le récit. Et voici que toujours, lorsqu'ils ont parlé : « Expliquez-moi maintenant, finissent-ils par me dire, comment mon père, ma mère, qui m'aimaient pourtant, n'ont rien vu, rien compris. Mes silences, mes rougeurs, mes larmes qu'à table je ne pouvais retenir, ma porte fermée à la clef, les sou- daines plongées au lit sans être malade, tout mon visage à l'âge où le visage change si l'on a seulement ^m/ât résolution d'être meilleur, ils n'ont rien aperçu, rien soupçonné dans le fils de leur sang, qui vivait sous leur toit, eux qui lisaient des romans ! qui allaient au théâtre ! Ah ! expliquez-moi cette monstruosité ». J'ai alors envie de leur répondre: « Vous dites qu'ils vous aimaient. Dites plutôt qu'ils ne vous aimaient pas assez. »

La puberté, on l'a dit, est une seconde naissance. L'avè- nement de l'âge d'homme en est une troisième. Chacune de ces naissances est aussi une mort : grande loi qui ne régit pas que les êtres. Si vous craignez un abus de mots à

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