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304 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

avait travaillé dans la ferme même, six ou sept ans. Labou- reur, il s'entendait à tout ouvrage et peinait comme un galérien. Une pleurésie le tua à trente ans, sa femme traîna six mois après lui, l'enfant resta seule. Ses grands- parents l'aimaient ; ils refusèrent au curé, qui le leur pro- posa, de la mettre aux mains des religieuses à Orléans, et ils la gardèrent avec eux.

Eux vieillissaient, elle devenait jeune, ils vivaient de concert une difficile et triste vie.

��III

��A l'aube, en hiver, on levait l'homme. C'était la charge de sa femme. Elle le découvrait, le tirait des draps, lui pas- sait son pantalon, l'asseyait sur une chaise auprès du poêle. Le reste regardait Eugénie : elle avait sauté du lit qu'elle occupait dans l'autre chambre, et vite vêtue, elle accourait. Elle chaussait son grand-père avec des précautions tendres : ayant remarqué que le contact de ses mains froides le fai- sait frissonner, elle les mettait tiédir, une minute, au four du petit poêle^ et leur caresse ensuite lui était douce.

Il conservait son gilet pour dormir ; mais sans sa bonne veste de velours, il se trouvait nu. Or sa tête, à cause de la courbure de son dos, n'était guère qu'à quinze ou vingt centimètres de ses genoux ; ses bras pendaient tristement au long de ses mollets : et s'il pouvait les redresser, il ne réussissait presque plus à lever la face. Eugénie harnachait pourtant vite le pauvre homme. Ramenant toute l'étoffe sur le col, elle présentait les deux manches. Le vieillard offrait ses poings : les manches glissaient. Les poings res-- sortis_, il était facile de déplier le vêtement et de serrer un bouton sous la poitrine inclinée.

Après quoi, la petite fille se reculait en souriant, regar- dant son grand-père et l'embrassait.

Un jour, il grogna en lui voyant ce sourire.

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