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LETTRE SUR LES ORATEURS ' 297

la renvoyer vers le bud. Cette affirmation longuement pré- parée va, par une adroite et soudaine combinaison des syl- labes, s'épanouir en négation. C'est le miracle de la parole qu'elle soit à ce point indépendante de l'esprit. Une seule chose, maintenant, importe : le succès. Que Barbadou triomphe et la cause est sauvée, puisque Barbadou est d'abord l'homme de la cause ! Barbadou est aussi l'homme de tous les sacrifices : il saura sacrifier ses idées à son succès puisque de son succès dépend la grandeur de ses idées.

Par de petits gloussements d'aise, l'assistance manifeste son approbation ; la voici regagnée au jeu. Et Barbadou frappe de grands coups : il fait donner les mots magiques, une série de mots acérés comme des banderilles et que l'orateur adroit plante audacieusement dans le cuir de la bète.

Les mots magiques ne sont pas éternels. Leur fortune se décide un jour et dure une saison. Ce sont parfois d'humbles mots que les événements ont tirés de la roture ; parfois ce sont des noms propres chargés de haine, gonflés d'amour ; parfois des mots savants que personne ne com- prend tout à fait mais qu'on reconnaît comme des signes, comme des drapeaux.

L'orateur remplit une grande phrase de mots morts, rien que de l'étoupe, rien que de la bourre ; puis, pour finir, il fait fuser un mot magique et toute la phrase éclate comme une mine.

Chaque fois que paraît un mot magique, l'assemblée s'ébroue, l'assemblée rue. Elle applaudit, elle hurle, elle jouit. Barbadou connaît les endroits sensibles ; il y appuie, il y revient sans pudeur.

Maintenant, la partie est gagnée, il le sent, il le sait ; il peut songer un peu à son propre plaisir. Il va le faire durer, soyez sûr. Chacun son tour. Des mots, du bruit, du bruit ! Et Barbadou parle, parle, jusqu'à ce que, ruisse- lant de sueur, exténué, étourdi, titubant, il descende de la

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