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LETTRE SUR LES ORATEURS ' 295

Qu'on y prenne garde : l'éloquence n'est pas un métier, mais une passion.

Et Barbadou parle. Il parle avec sa bouche, avec sa barbe, avec ses bras courts et robustes, avec son torse hale- tant, avec ses orteils convulsés dans les brodequins.

Les mots étaient épars dans l'air, comme des milliers de; génies invisibles. Troupeau sans maître, les mots sem- blaient à jamais dispersés dans l'infini. Barbadou a fait un geste de la main et les mots sont venus se ranger dans sa poitrine ; ils sortent en bon ordre par la gorge musclée ; ils obéissent tout à coup, comme des conscrits à l'exercice. Barbadou a l'air d'un dompteur de bruits.

L'assemblée est heureuse. Elle suit la courbe des phrases comme une musique. Vous le savez, mon ami, il n'y a pas trente-six façons de faire de la musique, il y en a deux : on joue fort et on joue doucement. Quand on a enflé les sons, il n'y a plus qu'à les éteindre et, quand on les a suffisamment, assourdis, il reste à les enfler. Barbadou n'ignore pas cette règle. Tantôt il voile l'éclat de sa parole ; ce n'est plus qu'une caresse sournoise, énervante ; alors toutes les bouches s'entr'ouvre'nt et s'emplissent de salive. Tantôt il lâche de généreux rugissements ; aussitôt, dans toute l'assemblée, les mains se ferment, les mâchoires grincent, les sourcils se tordent.

Parfois Barbadou ménage un bref repos, soit qu'il laisse la foule perchée au sommet d'une gamme vertigineuse, soit qu'il la dépose mollement au pied d'une période en pente douce. L'auditoire ne se fait pas prier ; il connaît son devoir : il applaudit. Cest la réplique, c'est sa façon de rendre le baiser, de remercier, d'exciter le mâle.

Alors Barbadou repart en hennissant. Il a posé devant lui une montre qu'il regarde souvent, qu'il ne verra jamais. Le temps n'a point affaire ici. Barbadou ira jusqu'à l'anéantissement. Ça durera ce que ça doit durer.

Il parle. Et que dit-il ? Ah ! mon ami, ne m'en deman- ez pas trop. Vous avez accoutumé de chercher les mots

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