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294 LA. NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Il soigne sa voix, rhoisit ses boissons, invoque à tout propos ses médecins, gémit sur son goût du tabac et traite sa gorge comme une châsse.

Parlera-t-il aujourd'hui ? Enfreindra-t-il les décrets de la Faculté ? Risquera-t-il sa santé, son organe ? Vrai, s'il ne s'agissait de la cause... Mais il connaît son devoir : il parlera. Il est sensible aux égards, accessible aux prières, respectueux de la nécessité, touché d'une simple poignée de main. Soit ! Soit ! Il parlera. Il saura se sacrifier. Qu'on ne le remercie point.

Barbadou monte à la tribune. Les applaudissements de la multitude crépitent sur son âme comme sur la peau d'une timbale. Il en éprouve une étrange volupté : quelque chose en lui se gonfle, se tend, se dresse.

Le voilà en chaire. D'un coup d'œil turtif, il a mesuré l'espace offert aux évolutions de son corps. D'un autre coup d'œil, celui-ci large, pesant, autoritaire, il embrasse le champ de bataille. Un général qui compte les bataillons dans la plaine ? Non : un matelot qui, de la grande vergue, interroge l'horizon marin.

Une mer, en vérité ! Une mer grondante de passions. Une mer, avec ses bas-fonds, ses brisants, ses abîjnes, ses bonasses et ses fureurs. Il la regarde sans trop d'anxiété : il n'en est pas à sa première traversée.

Les derniers bravos hésitent, puis meurent. Un silence frissonnant s'étale. Barbadou le laisse durer, comme l'homme qui veut irriter l'amour avant que de le satisfaire. Enfin, quand il sent l'attention tendue à l'extrême, il fonce, il pénètre... C'est lent et fort. Un peu sourd, son premier coup de gosier fait songer à un coup de reins.

L'assemblée frémit. Toutes les haleines, retenues pen- dant le grand silence, s'échappent des poitrines avec un petit râle voluptueux.

Barbadou parle debout : c'est un véritable orateur. Il n'}^ a que les professeurs, les magisters, les petits bourgeois de la parole pour confier à une chaise leurs fesses fatiguées.

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