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LE TRIPTYQUE DE M. ABEL HERMANT 265

un spécimen de l'ancienne âme française égaré dans un temps qui commence à l'abdiquer : son goût — dans tous les ordres, en fait de paysage comme de philosophie — pour le mesuré, le modéré, son aversion pour l'illimité, pour l'infini. (Voir son malaise devant les énormités de l'Engadine, son bien-être devant toutes les expressions du génie grec.) Ce trait qui rattache Philippe à la pensée française plus peut-être encore qu'il ne croit (car nos métaphysiciens eux-mêmes, Descartes et Malebranche, sont des infinitistes très mauvais teint; je le montrerais si c'était le lieu), ce trait requiert notre attention spéciale en ce que Philippe l'a manifestement hérité de son père spirituel. M. Abel Hermant nous paraît un des seuls dans la génération de 1890, dans la promotion des Barrés et des Maeterlinck, dont le fond ni la forme n'aient été mordus rigoureusement en rien par le romantisme hégélien, importé chez nous à cette date ; dont l'œuvre, pour parler plus généralement, soit indemne — combien indemne ! le mot seul que je vais prononcer fait sourire, dit à propos de notre auteur — de toute pâmoison panthéiste. C'est peut-être là ce qui explique la situation particulière faite à son œuvre, laquelle évidemment n'a point connu de succès de forum.

Ce n'est pas dire une chose très différente de dire que M. Abel Hermant est un des seuls de sa génération qui n'aura pas été atteint : de la religion de Pascal, de ce Pascal qui devait attendre l'intrusion chez nous de la philosophie pathétique pour être salué de père de la pensée française (voilez-vous, Voltaire et Montesquieu !) L'auteur des Pensées, lui aussi, eût pu dire : « Je serai compris vers 1880. »

Notez combien ce goût du mesuré, du fini, du pur intelligible, est en quelque sorte organique chez notre auteur, combien il y est inscrit dans ce qui, chez l'écrivain, signe le plus profondément le tempérament de l'homme : dans le ton de son verbe, dans la coupe de sa phrase, dans le choix de ses images, dans les proportions de ses développements,