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258 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sont de ceux qui rendraient cette génération assez peu sympathique, surtout par contraste avec celle qui l'a suivie ; ils sont des formes diverses de son agrippement à la vie, de sa douleur d'en être dépossédé, de son application à jouir du moi, de cet individualisme effréné dont la génération de la Marne et de Verdun semble assez bien exempte.

Voici le sentiment de la brièveté de la jeunesse, de la foudroyante fugacité de la force et des beaux jours, sentiment assurément vieux comme le monde, mais dont la violente conscience, dont l'étreinte forcenée semble bien un triste monopole de la génération de Philippe. Qu'est-ce que la plainte des grands romantiques (Chateaubriand excepté), qu'est-ce que le soupir des Feuilles d'automne :

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années. Pour mouvoir fui si vite et vous être éloignées Me croyant satisfait...

auprès des rugissements de désespoir poussés en ce sens par les Loti et les Noailles[1] ? Le cri de Philippe monte dans une tonalité plus discrète, mais n'en sort pas moins des régions les plus profondes, c'est-à-dire les plus basses (aussi les plus poignantes), de l'attachement au moi : « André, écrit-il à un ami, dans la nuit près du berceau de son fils qui vient de naître, le flambeau qui vient de s'allumer m'a signifié pour la première fois qu'un jour, bientôt, mon propre flambeau doit s'éteindre... André, j'ai faim de tout, je n'ai encore tâté de rien et voici que la cène est finie. »

Puis cette autre forme de l'accrochement de l'individu à lui-même, de son refus de se nier au profit de plus grand que soi : le sentiment — conscient, c'est là le nouveau —

  1. I. Peut-être faudrait-il remonter à Virgile, si proche de nous là encore, pour trouver cette douleur — combien contenue, toutefois — devant la volatilité des beaux jours : Optimaa quœque dies miseris mortalibus œvi Prima fugit...'' ■ (Georg.,III, 66.)