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pense pas. Les grandes époques, les époques d’affirmation sereine, de civilisation bien construite, ont toutes cherché l’idéal de l’homme dans l’adulte normal. Ce sont les époques inquiètes et menteuses qui ont feint d’adorer chez l’enfant le meilleur de l’homme. « Ces anges ! » dit Tartufe.

Mais les fonctions supérieures de la vie humaine, qu’en fait-on ? Freud admet, après bien d’autres, une sublimation des tendances. Et s’il ne célèbre pas comme il convient le miracle de la société, il en aperçoit du moins les plus visibles effets. Chez l’homme social, la libido, traquée, se métamorphose. Elle nourrit, de son ardeur animale, les magnifiques travaux de l’esprit.

Et c’est ainsi que la doctrine freudienne, si occupée du moi, si favorable, dans son principe ou dans son apparence, à l’exaspération de la conscience individuelle et à un renouveau de l’individualisme, pourrait bien en fin de compte apporter sa pierre à la déification du groupe humain. De l’animal au dieu. Freud a travaillé sur l’animal. Il n’a pas travaillé pour lui.

Dans les pages qui précèdent, je me suis contenté d’ex- poser, et sommairement. Quand il m’est arrivé de faire une critique, je ne l’ai pas poussée à fond. Je n’ai pas cherché davantage à montrer tout ce que Freud doit à d’autres, tout ce que la psychanalyse donne volontiers pour des nouveautés prodigieuses, mais qui n’est que l’appropriation, la mise au point où la mise en système de connaissances depuis longtemps acquises. Le meilleur moyen d’apercevoir l’originalité d’une doctrine, c’est de commencer par l’admettre. La meilleure condition pour juger, c’est d’avoir compris. Nous autres Français, nous avons, en l’espèce, mille raisons de résister à l’engouement et de garder notre calme ; mais nous n’aurions aucune excuse de ne pas comprendre.

JULES ROMAINS