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LES REVUES 25 I

de « démoniaque » ? Gide n'est peut-être pas si ennemi de Dieu qu'il vous plaît à dire. Sans doute Claudel, Jammes, bons chiens bergers, grondent et tournent autour de cette brebis perdue, qui pousse le goût de la conversion jusqu'à se convertir chaque jour à une vérité diffé- rente. Efforçons-nous pourtant de comprendre, chez Gide, un cas de sincérité terrible : nulle trace en lui de ce que Stendhal appelle injus- tement hypocrisie et qu'il dénonce chez les hommes du xvi^ siècle. C'est vrai que le choix d'une doctrine nous oblige, dans les instants où des forces en nous la renient, à continuer de la professer des lèvres, jusqu'au retour de la Grâce. Gide est l'homme qui ne se résignerait pas à incHner, fût-ce une minute, l'automate.

Quelle louange dans ce reproche que vous lui faites de n'avoir voulu exprimer que sa jeunesse «... sans souci d'exprimer rien d'autre et ne souhaitant que de l'exprimer mieux... »! A ce goût de la perfection, à ce scrupule, accordons une valeur même morale. Un livre de Gide nous est une leçon de mesure, de renoncement, — renoncement for- mel mais qui intéresse aussi le cœur. Apprenons de lui le refus des succès faciles et cette dignité de l'écrivain qui est, Massis, une émi- nente vertu. Le mépris de la gloire viagère, lequel de nos aînés nous l'enseigna ?

il ne signifie rien de dire que Gide ne choisit pas. Il choisit de pen- ser, mais la pensée est action ; il choisit de « goûter », mais le goût est actif. Un Gide sert d'autant mieux qu'il ne prémédite pas de servir ; il sert la France en écrivant le français mieux que personne au monde ; asservie à une fin morale, sa langue serait peut-être moins pure ; cet art exquis vaut par son désintéressement ; en tout cas, utilisé, il serait autre ; il ne s'agit pas de l'ériger en exemple : à chacun sa mission, et je vous accorde qu'il ne faudrait pas beaucoup de Gide dans les lettres... mais je ne crois pas à ce péril...

Ce que vous appelez « l'antagonisme de l'esthétique et de la morale» donne à l'œuvre de Gide sa valeur humaine. Les créateurs catholiques reconnaissent ici le grand débat qui les déchire (les créateurs, je ne dis pas : les critiques) ; si, convertis, il nous est donné de le clore enfin, ce débat, devrons-nous insulter nos maîtres et nos camarades moins heureux ? Hors le catholicisme, l'attitude de Gide n'offre rien qui cho- que la raison : son désordre intérieur devient la matière de son art, sans doute, m.ais c'est là le plus noble usage que l'homm.e sans Dieu puisse faire de sa misère.

Dénonçant le goût de Gide pour les « natures félines », pour les êtres primitifs et sauvages, vous obtenez, Massis, un facile effet de cour d'assises. Pourquoi omettre de rappeler que ce goût est commun à tous les artistes ? Il explique en partie l'œuvre de Stendhal et celle de Mérimée (pour citer des noms que votre chapelle honore). L'un en

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