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NOTES 235

<ie métier, et enfin, poète et penseur à la fois, Sevrierle héros central du livre, qui semble autobiographique.

La scène est d'abord dans le coin de baraque où vit Sevrier. Il est midi. L'histoire finira à minuit dans la baraque où le peintre et le sportsman font popote en commun. Douze heures pendant lesquelles ces hommes parlent, discutent, souffrent, mettant à BU le fond de leur pensée et de leur âme. Chacun d'eux sait ce ■qu'il pense, ce qu'il sent, ce qu'il croit ou a cru vouloir. Con- versations de damnés qui s'agrippent chacun à urx espoir diffé- rent, qui se fournissent chacun une explication différente du mal dont ils souffrent et dont souffre le monde. Ces conceptions diverses, nous les connaissons : celle qu'expose le sportsman, Drieu La Rochelle et Elie Faure ont mis tout leur lyrisme à l'animer ; celle du soldat de métier, nous la retrouvons dans l'Action Française et VEcho de Paris de chaque jour ; celle de l'ingénieur, nous l'avons trouvée dans tous ces livres qui ont fourmillé après l'armistice : Produire, Agir, Mettons de l'ordre dans la maison! La reconstruction de la France, etc.. ; les idées du philosophe, du peintre et de Sévrier, plus subtiles et plus pro- fondes, nous en avons eu l'écho dans des conversations particu- lières ou nous les avons agitées en nous. Ici elles nous sont pré- sentées dans l'ambiance de désolation où elles ont été conçues.

Certes, les personnages sont des types, des façons de penser, de sentir, d'être, plutôt que des individus ; ils symbolisent le jeu multiforme d'un cerveau et d'une âme singulièrement riches et héroïques. Toutes les raisons de vivre, de lutter ou de renoncer, remises en question par la guerre, nous les voyons soudain à nu, à cru chez ces écorchés vifs. Et si parfois la roue ■dentée de leurs raisonnements semble tourner à vide, souvent aussi, elle nous accroche et nous déchire jusqu'aux entrailles.

L'orgie des dernières pages autour du « ragoùtmonstre obtenu par la fusion de plusieurs plats expédiés en boîtes soudées » et de « huit bouteilles de vin et quatre de liqueurs, pour dix per- sonnes » est un morceau hallucinant.

Mais pourquoi, dans ce beau livre pathétique et austère, avoir introduit cette série de poèmes en prose quasi erotiques, assez mal réussis, qui n'ajoutent rien à l'émotion du lecteur et dont le ton est indigne de Sevrier, leur pseudo-auteur.

BENJAMIN CRÉMIEUX

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