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210 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'espace, comme s'il eût jngé oiseux mes propos et voulut cal- mer l'impatience qu'ils lui causaient, et, son visage offert à sa vue dans la glace, oubliant presque que j'étais là et semblant se par- ler à lui-même :

« Molière, répéta-t-il, quand on parle de lui, même sans observer l'ordre chronologique, il faut commencer par L'Etourdi, qui est sa première pièce, ou par La Jalousie du Barbouillé. L'Etourdi est ime pièce charmante et pleine de gaieté. Elle porte la marque de la première jeunesse du poète. Quand Molière la fit représenter, sur le tréteau qui lui ser%'ait encorede théâtre, il était jeune, beau, plein des plus grandes espérances de succès et de fortune. On peut ajouter qu'il avait la chance de trouver, à son début, la sympathie et l'admiration populaires. Il comprenait déjà qu'il serait le maître des esprits et des intel- ligences de son temps. 11 sentait qu'il serait un jour le favori du rci. Déjà la ville et la cour fêtaient L'Etourdi comme une œuvre pleine de sourires.

« Mascarille était déjà un enfant de Molière et bien étonné était celui-ci de se voir deux fois applaudi, pour son jeu et pour ses vers. Ajoutez toutes les complications et toutes les joies d'une intrigue italienne, la passion d'un amour vif et bien senti, la gaieté surabondante d'un écrivain jeune, sûr de plaire et qui pourtant avait tout à créer : la langue, les mœurs, l'esprit, l'art et les convenances de la comédie. Ecoutez avec soin L'Etourdi et vous comprendrez quel sage esprit se cachait sous ce vers abondant, ingénieux, facile, net et vif et si bien fait. La langue nouvelle s'y montre dans tout son éclat, l'esprit dans toute sa verve, le dialogue plein d'une grâce et d'un naturel inimitables. A chaque instant, éclate la bonne humeur de ce merveilleux génie qui annonçait déjà son admirable destinée. Il échappe à Turlupin, à Scaramouche, aux joies licencieuses des tréteaux de Tabarin et cependant il n'en est pas encore si éloigné que de temps à autre il ne se rappelle quelques-uns des lazzis de ces illustres farceurs.

a A cette époque, la comédie en est encore à la gaieté et aux hasards d'une aventure. C'est la comédie de la place publique, l'esprit de plein air, le rire qui tait qu'on se tient à deux mains pour ne pas éclater. 11 faut donc accepterces vieilles et franches comédies qui ont été pour Molière une source si féconde de

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