Page:NRF 18.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

204 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

à son image et admire en lui sa propre fumée, tandis que Rim baud agit sur le cénacle. Il n’y a jamais eu eu une influence de Petrus, tandis qu’il y a encore, un demi-siècle après les Illuminations, une influence de Rimbaud, celle même dont M. Max Jacob se défend vainement dans la préface du Cornet à Dés.

Ces poèmes de Rimbaud, que la génération symboliste savait par cœur, on les oublie à peu près aujourd’hui. En revanche il semble qu’on lise avec ferveur et profit les Illuminations et Une Saison en Enfer. Le livre avait d’ailleurs, je crois, inspiré Jarry. Il me souvient de promenades avec lui où des spectacles de la rue étaient référés subtilement à tel passage des Illuminations. Et ce courant est sensible dans son œuvre (trop oubliée au profit du seul Ulni), des Minutes de sable mémorial à Messaline. Une revue posait naguère, à peu près, à des écrivains cette question : « Croyez-vous qu’une littérature inspirée de Rimbaud^ de Lautréamont et de Jarry soit aujourd’hui possible? » Très possible, trop possible, trop peu capable de sortir de ce pur possible. N’oublions pas, d’ailleurs, que du point de vue médi- cal, fort relatif comme on sait, les Chants de Maldoror furent écrits par un fou (« un vrai », comme on dit du député qui exerce la profession de vétérinaire, ou du saltimbanque des Folies-Bergères que le Jura élut jadis sénateur) et que Rimbaud et Jarry demeurèrent, comme bien des poètes plus grands qu’eux, en coquetterie avec la folie.

C’est précisément dans le genre de folie propre à Rimbaud qu’on trouverait, je crois, la clef des Illuminations. Rimbaud était un chemineau, pour qui la vie consista longtemps en ceci: aller indéfiniment à pied sur les grandes routes. C’est ainsi qu’il parcourut une partie de l’Europe et de l’Afrique. Les aliénistes ont décrit et classé depuis longtemps cette folie ambulatoire, qui n’est, comme toutes les folies, que le développement anormal d’une tendance naturelle. Comme Rimbaud était avec cela fort intelligent, et qu’il avait du génie, il sut tirer parti de cette ten- dance, et, voyageant inlassablement en l’Abyssinie, il était, lorsqu’il mourut à Marseille, sur le point d’y repartir, en passe de faire une grosse fortune commerciale.

Il aurait fait, ou plutôt il fit, sur les mêmes voies, sa fortune littéraire. Le Voyage de Baudelaire, c’est le voyage d’un séden- taire ; le Bateau Ivre c’est le Voyage d’un voyageur, d’un

�� �