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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 203

Claudel au moment même où Rimbaud agissait sur l'extrême- gauche littéraire.

L'action de Rimbaud sur le symbolisme proprement dit avait été très faible. On récitait volontiers et on admirait à juste titre les Chercheuses de poux et le Bateau ivre à cause de leurs vers étonnants, de leur mouvement à la fois baudelairien et parnas- sien. Mais les écrivains symbolistes à qui il m'arriva de parler des Illuminations les considéraient comme un amas incom- préhensible de folies qui avaient dû avoir du sens au moment 011 Rimbaud les écrivait, l'avaient en tout cas depuis longtemps perdu. On les mettait sur le même rayon que les Chants de Mal- doror. Ce qui intéressait surtout chez Rimbaud, c'était, comme chez Mallarmé, sa destinée. Avoir écrit enfant les plus admi- rables vers, être passé de là à un brouillon en apparence inin- telligible, fait pour le poète seul, avoir jugé ensuite que ce n'était plus la peine d'écrire, avoir laissé derrière lui comme un bagage inutile la littérature, avoir réalisé, pour une Afrique vraie, ce départ qui, chez les écrivains, avorte toujours en un roman ou un poème, voilà qui excitait les imaginations et apparaissait comme un horizon de vertus héroïques. Rimbaud, qui avait renoncé à la littérature, fut 'canonisé comme un saint de la littérature. Et même comme un saint tout court. Claudel nous affirme qu'il est sauvé, avec la même certitude (si peu chrétienne en somme) qui fait déclarer au poète des Cinq grandes odes que Hugo, Michelet et Renan cuisent en enfer. La place de Mallarmé était celle de l'homme dont la chair est triste et qui a lu tous les livres ; la place de Rimbaud paraissait celle de l'homme qui aurait pu écrire tous les livres, mais qui, con- tent de s'être transporté une fois aux limites de la littérature, n'a plus écrit.

On pourrait être tenté de comparer cette place à celle de Petrus Borel dans le romantisme. « Dire que j'ai cru en Petrus ! » constatait mélancoliquement Gautier à la fin de sa vie. Et de vieux symbolistes s'accusent aujourd'hui, en souriant, d'avoir cru en Rimbaud. Je ne crois pas que ce soit la même chose, à moins qu'on ne se place au point de vue de Sirius. Si Petrus et Rimbaud ont eu leur raison d'être dans les cénacles, dans ce que M. Lasserre appelle les chapelles, ils ne l'ont pas eue en la même qualité. C'est le cénacle qui agit sur Petrus, le forme

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