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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 201

plus fine, la plus logique, — la plus diabolique, alkis-je dire, en songeant que le diable est le meilleur logicien. Mallarmé n'a eu qu'un sujet, n'a fixé que sur un point ses yeux interrogateurs et rêveurs : le fait littéraire, l'existence et la vie du vers, du poème, du livre. Il est, à ce point de vue, le Boileau du roman- tismie, ou plutôt il indique d'un doigt tendu (comme le Saint Jean des tableaux) la place que devrait occuper dans l'art du xix^ siècle un Boileau. Ne dites pas de mal de Nicolas, écrivait Voltaire : cela porte malheur. Et Sainte-Beuve répondait à des railleries vieillottes de Taine sur Boileau que celui qui méprise Boileau risque de mépriser au fond toute poésie. Comme Voltaire et Sainte-Beuve avaient raison ! L'auteur de VArt Poétique n'est pas un des dieux de la poésie, mais il en est le prêtre, et on ne saurait guère mépriser le rôle du prêtre sans mépriser la religion. Mallarmé a tenu dans l'autre massif français qui équilibre la poésie classique une place analogue. Rien d'étonnant qu'il se trouve au croisement exact, à la patte d'oie de ces trois routes du xix^ siècle poétique, le romantisme, le Parnasse, le symbolisme, et qu'on puisse presque indifférem- ment voir en lui l'aboutissement et la logique absolue de ces trois mouvements en apparence ennemis. Il ne se mêle pas à leurs disputes — abhorret a sanguine. Il fait partie du service spirituel. Il dit la messe également pour tous trois, la messe de la poésie pure.

L'influence essentielle exercée par Mallarmé a été celle de son exemple. Un homme avait mis son idéal à réaliser non pas- une œuvre aussi parfaite, aussi vivante, aussi bienfaisante que possible, mais à pousser le plus loin possible dans la direction de l'absolu la poésie française, à atteindre une extrémité. Ainsi un explorateur qui, laissant à d'autres les Amériques et les Eldorados, ne s'attacherait qu'à planter un drapeau dans les glaces sur ce point mathématique qu'est le pôle. Certes, s'il y avait à choisir entre l'un et l'autre, il vaudrait mieux découvrir l'Australie ou le Congo que le pôle Sud. Mais il n'y a pas à choisir. L'ensemble des explorations forme un bloc, un tout, déposé par une division spontanée du travail. Et le résultat c'est la découverte de la terre entière, où restent encore bien des espaces inconnus, mais où toutes les grandes lignes sont repé- rées. On pourrait voir dans la poésie, dans la littérature, un.

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